Journaliste, fondateur de l'ONG Finance Watch, pilier d'Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) à son lancement, Pascal Canfin a un parcours atypique, rien à voir avec celui de l’apparatchik. A l’image de ce qu’à voulu être EE-LV, son histoire dessine une envie de franchir les lignes.
Les accords de la COP21 seront définitivement ratifiés en avril à l’ONU. Cette COP21 est-elle une réussite selon vous ?
Pascal Canfin - L'objectif final de l’accord de Paris contient des choses extrêmement fortes : les 1.5- 2 degrés à respecter ; la neutralité carbone de l’économie dans la 2ème moitié du siècle ; la réorientation des flux financiers vers une économie décarbonée. Maintenant, est-ce qu’il suffit à transformer les modèles d’investissement et les politiques publiques ? Non. Le rôle du WWF et de la société civile est de s’assurer que les engagements seront tenus et de demander de la cohérence au nom de cet accord. Le dossier de l'aéroport à Notre Dame des Landes (NDDL) est un des premiers en France où l’exigence de cohérence de la COP21 doit s'imposer.
Comment contraindre les États à appliquer les accords de Paris ?
Cette question est évidemment très importante. La première contrainte est celle des pairs, des États entre eux, d’où l’importance des mécanismes de transparence de l’accord. Il y a aussi la contrainte que fait peser la société civile avec sa capacité à dénoncer, à jouer le rôle de vigie. La troisième contrainte sera juridique, mais pas nécessairement là où on l’attend : il n’a jamais été envisagé que l’accord débouche -malheureusement- sur une sorte de cours internationale du climat, comme les États l'ont fait avec l’OMC et les accords de libre-échange. Mais la contrainte juridique pourra peut-être peser bientôt. Dans le domaine financier, l’OCDE travaille en ce moment sur ce qu'on appelle le devoir fiduciaire.
Exemple : je suis un fond de pension. Je gère des milliards de dollars. Quelle est mon obligation légale vis à vis des retraités dont j’ai récupéré l’argent et à qui je dois servir des retraites ? C'est le rendement maximum en prenant en compte les risques. Jusqu'à présent le risque climat n'est pas pris en compte. Mais les choses ont changé en 2015 et si l'OCDE conclut que les fonds de pension sont légalement obligés d'intégrer la gestion du risque climatique au regard des intérêts de long terme des retraités épargnants alors c'est majeur ! Ça ne fait pas la une du 20h, mais le jour où cela change, des milliers de milliards de flux financiers se réorienteront progressivement. Un changement culturel est en train de s'opérer dans le monde financier et pour moi il est inéluctable. L’accord de Paris va accélérer ce processus et le WWF fait de cet enjeu un de ses trois grands leviers dans le monde entier.
On est très loin du retour au local et à la terre prôné par Pierre Rabhi, qui a d’ailleurs fortement critiqué la COP21…
Edgar Morin dit : “Il faut passer d’une philosophie du "ou" à une philosophie du "et”. Pour mettre en œuvre ce défi extraordinaire d’inventer l’économie décarbonée et sauver la planète, on a à la fois besoin de Pierre Rabhi et de Standards & Poor’s qui dégrade la note des entreprises parce qu’elles sont trop exposées au risque climatique ! Ils l’ont déjà fait dans 60 cas. Toute l’économie mondiale ne va pas se relocaliser mais on a besoin de Pierre Rabhi pour travailler sur le système de valeurs. La grande transformation pour sauver le climat se fera parce que les modèles économiques changeront mais aussi parce que le système de valeurs changera. Nous sommes face à un défi historique, additionnons les énergies au lieu de les opposer entre elles !
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