En 2040, vous lirez toujours des journaux papier. En pensant à l’orientation de vos enfants, vous vous arrêterez sur un article intitulé « Chief farming officer, un métier d’avenir ». Dans une édition spéciale « Salon de l’Agriculture et de l’Agritech », un autre texte annoncera qu’un programme d’intelligence d’artificielle aura remporté le marché des cantines scolaires en Ile-de-France...
Retour en 2016 : 2040 semble encore loin mais la revue est d’ores et déjà imprimée. Elle constitue l’une des maquettes de design fiction élaborées par le cabinet de conseil en stratégie Weave. « Plutôt que de montrer des présentations Powerpoint, nous sommes aidés par des designers pour créer les supports les plus immersifs possibles et imaginer tous les futurs envisageables », explique le consultant en innovation Martin Lauquin.
Plonger dans le futur pour s’en approprier les enjeux
Conceptualisé à la fin de la décennie 2000 en Californie mais encore émergent ailleurs, le design fiction ambitionne de prendre les décideurs aux tripes. « Les dirigeants ne s’approprient pas les enjeux des ruptures à venir s’ils ne sont pas plonger dans ce qui les attend », poursuit le spécialiste. Les maquette pédagogiques prennent différentes formes. Aux derniers Cannes Lions (un rassemblement des acteurs majeurs français du secteur de la communication et de la publicité), Havas Media Group France invitait ses clients à s’asseoir dans un prototype de canapé connecté , équipé des technologies appelées à révolutionner les média et la publicité, du casque de réalité virtuelle aux imprimantes 3D. A San Francisco et à Genève, le think tank « Near Futur Laboratory » a imaginé le catalogue Ikea du futur et, du même coup, les salons et chambres de demain. Pour un acteur de la mobilité, l’équipe de Weave a filmé des saynètes dans les rues de Paris mettant en scène des voitures Google. Des acteurs ouvraient les portes d’une voiture autonome de Google au moyen d’une montre connectée tandis qu’un bandit volait le véhicule grâce à ses compétences en informatique de l’Internet des objets. « Quand ils imaginent le futur, les designers sont plus radicaux et s’écartent des visions communément admises, souligne Martin Lauquin, ils montrent aussi les couacs. ». Le design fiction peut aussi s’appeler design friction...
Evacuer les scénarios fantaisistes
Bien évidemment, pour créer le choc, l’histoire doit être crédible. Les équipes Innovations des clients de Weave sont impliquées dans la conception des maquettes à montrer par la suite aux autres cadres. Les designers évacuent aussi les scénarios les plus fantaisistes. « Ils nous aident à réaliser ce que nous appelons la « purge des imaginaires » c’est-à-dire à éliminer les promesses technologiques qui n’ont pas lieu d’être », insiste Martin Lauquin. « Souvent leurs regards associés à l’étude de la science-fiction permet déjà de pointer des problèmes majeurs ou bien le manque d’utilité de certaines innovations ». Les designers n’auraient pas misé sur l’émergence de la voiture volante imaginée dans les années 1980 pour le début de notre siècle...
D’ailleurs, aujourd’hui, les véhicules roulent seuls mais toujours au sol.
Contrairement au design thinking, qui encourage à observer le consommateur avant de concevoir un produit ou un service , le design fiction ne s’arrête pas à l’innovation incrémentale. Les vraies ruptures ne se voient pas encore, elles s’imaginent ! A quelle date projeter la machine à avancer le temps ? La réponse, dans l’absolu, n’a en vérité guère d’importance. Souvent, le cabinet Weave projette les dirigeants trois plans stratégiques plus tard. Exemple : s’ils raisonnent par cycle de 5 ans, ils les propulsent à 15 ans. La raison ? Viser plus loin permet d’appréhender le sujet avec moins de stress. Surtout imaginer le début d’un changement de pied effraie moins qu’un grand chamboulement immédiat.