Les mesures de confinement visant à prévenir la propagation du Covid-19 ont forcé les entreprises à adapter dans l’urgence leurs modes de fonctionnement et à prendre des décisions parfois radicales. Une recherche intervention collaborative va explorer l’effet d’accélération qu’a la crise sanitaire sur les mutations du travail initiées ces dernières années et livrer des pistes pour en faire un levier d’amélioration continue pour toutes les parties prenantes de l’entreprise.
L’explosion du télétravail est sans doute l’exemple le plus évident des bouleversements aussi soudains que massifs qui ont été engendrés par le confinement. D’autres, peut-être moins immédiatement lisibles, sont néanmoins bien présents : la mise en question du sens qu’on donne à son travail et de la place qu’il occupe dans nos vies, l’articulation de la sphère professionnelle et de la vie privée… D’autres bouleversements sont encore à venir, comme les effets annoncés du contre-coup économique : dégradation des résultats des entreprises, baisse et réorientation de la consommation, augmentation du chômage, profond endettement des États… avec, en toile de fond, le défi écologique qui reste plus marqué que jamais.
« Le monde a complètement changé, alors que le système, lui, ne peut pas radicalement changer du jour au lendemain, observe Bertrand Dalle, directeur général de l’agence française Conseil & Recherche. Les entreprises sont soumises à l’impératif de résultats et n’auront sans doute d’autre réflexe que de lancer des plans d’économie gigantesques avec des effets sur l’emploi. Mais il nous semble que la crise sanitaire n’affecte pas que la ‘quantité d’emploi’, mais aussi sa ‘qualité’ au sens de l’ensemble des modalités sous lesquelles il se présente. Bien entendu, les mutations du travail ne sont pas un sujet nouveau, loin s’en faut ! Ce qui est nouveau, c’est le rôle d’accélération qu’a joué la crise sanitaire, en ce sens que celle-ci fragilise un peu plus encore la triple unité de temps, de lieu et d’action qui caractérisait le travail salarié du 20e siècle.
Aventure apprenante
Spécialisé dans la traduction des acquis de recherche pour l’action dans l’entreprise, Conseil & Recherche a très naturellement décidé de mettre le sujet au cœur de sa toute prochaine recherche intervention collaborative inter-entreprises. Le principe qui a déjà été appliqué à plusieurs sujets d’actualité — les usages des espaces de travail, l’entreprise libérée, l’intrapreneuriat, l’expérience collaborateur… — est simple, mais rudement efficace: mutualiser un projet de recherche entre six à huit entreprises pour éclairer un sujet de préoccupation et produire des connaissances utiles à l’action.
Conçue comme une aventure apprenante, la démarche va plus loin que la réalisation d’un rapport de recherche : il s’agit de mener un trajet de plusieurs mois réunissant chercheurs et praticiens. Celui-ci inclut une mise en perspective scientifique et l’apport d’investigations dans d’autres entreprises, l’animation d’une communauté inter-entreprises (via des conseils d’orientation, webinaires thématiques et séminaires de créativité), la production de livrables pédagogiques ainsi que la formulation de recommandations. « L’originalité de cette nouvelle recherche collaborative tient au fait que le principal terrain de recherche, ce seront les nouvelles situations de travail de nos entreprises partenaires, note Laëtitia Gabay-Mariani, chercheuse au pilotage du projet. Le sujet étudié vit en effet alors même que se mène la recherche, et nous l’aborderons au travers d’une exploration de l’organisation de travail (par entretiens, focus groups et analyses), une enquête quantitative auprès des collaborateurs et une observation participante auprès de deux salariés volontaires par trimestre, sur leurs lieux de travail à domicile et au bureau, pour capter en profondeur le travail en train de se faire. »
Trois axes de recherche
La recherche intervention collaborative se concentrera sur trois axes identifiés comme structurants du travail au lendemain de la crise du Covid-19:
- Le travail à domicile: « Auparavant, pouvoir télétravailler un à deux jours par semaine était perçu comme un privilège, constate Bertrand Dalle. Il est possible que le privilège s’inverse à l’avenir » et que le collaborateur n’aura, par exemple, plus le droit de revenir au bureau qu’un ou deux jours par semaine. « Cet axe de réflexion vise à questionner les multiples conséquences d’un télétravail plus fréquent sur les conditions matérielles comme immatérielles de l’activité professionnelle, les liens avec les collègues et les clients, l’articulation entre les vies professionnelle et personnelle, mais aussi les incidences sur la communauté de travail, indique Laëtitia Gabay-Mariani. On l’a vu avec les nombreuses visioconférences qui se sont tenues en confinement : la relation en one-to-one n’est pas la même à distance et, au plan collectif, il est beaucoup plus difficile de faire passer ses messages par l’intermédiaire de Teams ou de Zoom. »
- Le travail au bureau: « Retrouve-t-on le même bureau que celui qu’on a quitté? Non, c’est évident, poursuit-elle. Il va falloir repenser les liens et les relations de travail car il n’y a plus aujourd’hui la même spontanéité à croiser les collègues et à engager des interactions informelles. On le sait bien, l’organisation du travail et l’articulation des compétences sont pourtant un des critères clés de la performance. En réalité, la distanciation physique qui nous est imposée va à l’encontre de tout ce qui définit la performance dans les théories du management. De nos cinq sens, la crise ne nous en laisse plus qu’un et demi: l’ouïe et la vue… en 2D. Or, le ressenti est très important. Va-t-on vers un travail aseptisé, qui ne sera plus d’être à être, mais de rôle à rôle? Il va falloir trouver d’autres façons de nous rassembler pour conserver des dynamiques collectives et créer une même valeur ajoutée. »
- Le management à distance: « Ce troisième axe nous amènera à investiguer dans quelle mesure le travail à distance et ses nouvelles articulations avec le travail au bureau impacte le rôle du manager, les pratiques de management des équipes et la relation manager-managé. »
En pratique, cette recherche collaborative se déroulera sur 10 mois, de septembre 2020 à juin 2021. « Elle s’articule autour de trois partis pris, conclut Bertrand Dalle: gommer les effets de mode en analysant un sujet d’actualité à l’aune des dernières avancées de la recherche en sciences humaines et sociales, et des pratiques d’entreprises innovantes en France et dans le monde; impliquer les pilotes de projet et les équipes des entreprises partenaires dans un écosystème constituant une communauté apprenante; et les aider à choisir un chemin correspondant à la stratégie et à l’ADN de leur organisation. Car, moins que jamais, il n’existe de recette miracle aux défis qui sont devant nous. »
Découvrez l'enregistrement du webinaire de lancement de cette recherche collaborative, avec les interventions du professeur Pierre-Yves Gomez (EMLYON) et de Christophe Lo Giudice (HR Square).
Bertrand Dalle et Laëtitia Gabay-Mariani (Conseil & Recherche) y détaillent les ambitions, objectifs et modalités de la recherche collaborative.