Les critiques adressées à la « vieille » RSE
Ces critiques sont nombreuses :
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- Qui sont les parties prenantes (les plus puissantes ? les plus légitimes ? celles qui posent
problème ? ...) ;
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- Leurs attentes sont parfois mal exprimées (l’expression d’une politique de RSE se construit-
elle vraiment en réaction à celles-ci ?). Il se pose le problème de récupération des signaux, des symboles représentatifs donc de la construction d’un système de mesure influencé par ces attentes, mais il faut aussi tenir compte des limites liées à la conformité mimétique qui prévaut, le plus souvent, dans la construction de ces politiques ;
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- Quel est le modèle qui intègrerait l’ensemble des performances avec une moyenne lisible (problème de la triple bottom line ?) et la valeur de l’économique tend à rester supérieure à celle de l’écologique et du social ;
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- Comment s’assurer que la représentation de la performance n’est pas seulement une mise en scène ?
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- Comment crédibiliser les démarches d’audit ? Les références à la figure de l’expert, à ses méthodes sont-elles suffisantes ?
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- L’offre de compétences en matière d’audit est-elle à la hauteur de la demande (problème d’un marché où règnent les plus puissants, donc biais dans les délibérations sur les normes) ?
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- Il y a risque de se focaliser sur l’obtention et le suivi de niveaux d’indicateurs plus que sur les problèmes, même si cette perspective peut jouer le rôle «d’accélérateur d’apprentissage ». Les logiques de reporting conduisent en fait à être satisfait du moment qu’il convient formellement, de se focaliser sur une lutte pour la définition des standards, de ne s’intéresser principalement qu’aux auditeurs et aux agences de notation, de vouloir jouer le rôle de juge et de partie (juge pour la fixation des standards et partie pour le fait de se soumettre à la notation) ;
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- La RSE privilégiant les initiatives volontaires (in fine auto-décrétées) et l’absence de sanction est confrontée au risque de faire « décoller » les discours des réalisations dans des logiques où une communication très professionnelle prendrait le pas sur la négociation (y compris avec des « parties prenantes ») ;
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- La communication effectuée est unilatérale, univoque et présente la caractéristique de ne pas supporter la critique externe (qui appellerait de ses vœux une entreprise sale, inéquitable, etc.). On est donc très éloigné de toute humilité et de toute « heuristique de la peur » ;
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- Pour ce qui concerne la diversité, ne peut-on parler d’une contribution à la légitimation d’un libéralisme communautarien construit sur la base de primordialismes ethniques (âge, genre, race) et culturels (religion, mœurs) ?
Ne peut-on dire, pour ce qui a concerné le développement de l’instrumentation associée à la RSE que l’on a assisté, tout comme pour la qualité il y a quelques années, au passage de cette instrumentation comme ensemble de techniques à la dimension d’une technologie managériale ? La dimension technologique serait d’ailleurs matérialisée par le double rapport à la norme : l’instrumentation se développe pour mettre en oeuvre les normes de RSE mais, en même temps, les dirigeants des grandes organisations mettent tout en œuvre pour les modifier, d’où cette impression de développement normatif à la fois sans limite et sans véritable sens.
Les politiques de RSE tendent à confondre charité et philanthropie, la philanthropie se caractérisant par la limitation de la responsabilité à un acte (ou une série d’actes ponctuels), ce qui n’est pas exactement « responsable ». Elle constitue en outre un acte (ou une série d’actes) qui reste toujours annexe à l’activité principale. Ces politiques d’ordre philanthropique vont privilégier l’aspect éthique et vont alors plus concerner la société civile que des aspects véritablement sociaux. Par ailleurs, l’aspect ostentatoire de ces politiques constitue une contradiction à la vertu même de charité. Ils seraient donc en fait plus proches de la protection (des personnes ou de la nature au regard des liens tressés avec les innombrables et disparates ONG) que de la véritable responsabilité.
De nombreuses politiques de RSE se caractérisent par l’absence de preuve tangible de la part des entreprises qui les pratiquent, essentiellement des entreprises multinationales. C’est en particulier le cas de celles qui prennent le pas sur des politiques publiques comme, par exemple, dans le domaine sanitaire, opérations qui sont à la fois le signe de leur institutionnalisation, mais qui ont aussi pour effet de rendre encore plus difficiles les modalités de constitution de l’Etat (comme, par exemple, la constitution d’un système de santé dans les pays en développement, dans la mesure où les entreprises concernées tendent à faire « à la place » de ce dernier). Les conséquences finales vont alors à l’inverse du volet « développement » inhérent à la notion de développement durable, alors même que ces entreprises s’y réfèrent. A ce titre, on pourrait parler de politiques de RSE comme étant faites pour empêcher la mise en place de lois.
C’est ainsi que M. Le Menestrel229 va parler des deux faces de la RSE avec la face brillante et souriante (préoccupations sociétales et environnementales) et la face sombre (les politiques de responsabilité sociale n’envisagent pas, au sens large du terme, les rapports entre les produits et la santé, la discussion des règles applicables au travail et surtout aux capitaux). C’est en cela que la RSE hérite de toute l’ambiguïté du leadership éclairé.
L’inexistence d’un véritable statut juridique à ce type de responsabilité entrave un engagement contractuel au sens juridique du terme. On n’en est pas encore à la reconnaissance d’un véritable droit de suite qui serait accordée par exemple à une ONG de défense des Droits de l’Homme quand elle agirait en justice contre une entreprise multinationale.
Les principaux bénéfices des politiques de RSE ont sans doute été une remise en cause des pratiques de corruption mais, tout comme pour l’éthique des affaires, elle s’accompagne d’un déclassement du politique comme lieu de légitimité de l’expression du Bien Commun.
Il est possible de noter l’absence d’une théorie des affaires qu’il serait possible (voire nécessaire) d’enseigner dans les business schools. Une telle théorie, interdisciplinaire par nature, devrait puiser ses racines dans différents champs des sciences sociales (droit, sciences politiques, psychologue, économie, etc.). Elle devrait de même être en mesure de distinguer le champ du Business and Society où la RSE s’est développée sur la base d’un modèle prédateur du Business in Society.
C’est à ce titre que l’on peut même parler de supercherie. Comment défendre l’existence d’une RSE portant des effets dans un monde où les inégalités et les désastres écologiques s’accroissent ?
229 M. Le Menestrel, « Ethical Business and the Two Faces of Corporate Social Responsability », 2nd EABIS Colloquium 2003, Copenhague, 19-20 septembre 2003
On pourrait aussi qualifier la RSE de sorte de monologue adressé aux agents sociaux comme s’il s’agissait d’un dialogue alors qu’ils n’ont rien demandé. C’est un récit organisé mettant en scène des sujets dont les places ont été préalablement distribuées tant sur le plan du « donner » que sur celui du « recevoir » (ce sont ses dirigeants qui choisissent ce qu’ils donnent, quand, où et comment ?). La RSE constitue à ce titre une infra-pensée de l’équité dans les contours du « moment libéral » (et qui plus est dans un micro-territoire politique - l’organisation) qui met au premier plan le principe de liberté dans un monde orphelin d’une pensée de l’équité, celle du communisme, du fait de son échec in concreto.
On peut se poser la question de l’« épuisement » du thème au travers de la remise en cause des initiatives volontaires par référence à des normes internationales dont la dimension politique est de plus en plus importante dans la mesure où elles bénéficient de la légitimité politique des organismes qui les construisent (ONU, Union Européenne, par exemple), légitimité relayée par les Etats. Le développement de ces normes internationales marque aussi le basculement du domaine du sociétal vers celui de l’environnement, le second tendant à recouvrir presque totalement le premier. A ce titre, la RSE comme thème de gestion aurait servi d’occurrence d’apprentissage par les « S »ociétés qui, en retour, suscitent le développement de ces normes. La dimension soi-disant « éthique » du thème disparaît bel et bien au profit de sa dimension politique. A ce titre, l’environnemental tend à échapper de plus en plus au lobbying. C’est ce constat qui conduit à dire que la RSE s’est trouve enlisée dans la tension qui vaut entre confort et conformisme, ayant sombré dans l’ornière du codifié. Rappelons en effet l’indétermination de ses contenus et le fait qu’elle débouche finalement sur le financement d’actions appropriées – au sens de la conformité du terme. Par ailleurs, il s’agit de se consacrer aux effets et non aux causes.
La « vieille » RSE fut la matérialisation d’un conflit de répartition « entreprises – société » et ses évolutions se sont matérialisées par des galaxies d’alliances, de coalitions, de forums hybrides, ceci étant le signe d’une gouvernance polycentrique en construction, gouvernance polycentrique posant la question de la place des citoyens.
La « vieille » RSE peut être considérée comme une des manifestations privilégiées de l’institutionnalisation de l’entreprise qui ne saurait exister, rappelons-le, sans un cadre politique.