Depuis sa création, il y a quatre ans, l’Observatoire du bien-être se donne la mission de scruter le bien-être des Français : ses racines, ses différentes facettes et son évolution. Bonheur privé et malheur public, lien entre optimisme et comportement politique, rapport à l’argent et à l’économie, influence de l’âge, du genre et de la stratification sociale, réaction à la conjoncture économique et aux changements politiques, nous suivons ces questions et en rendons compte à l’occasion de nos notes et de nos publications régulières. Nous illustrons également ces tendances à l’aide de notre tableau de bord en ligne.
Le présent rapport vise à donner une image de cette activité, et ce faisant, à dresser un portrait de la France au prisme du bien-être subjectif. Travailler et aimer, les deux sources du bonheur selon Freud occupent une place prépondérante dans ce rapport qui fait une large part à la sphère professionnelle et aux liens interpersonnels et sociaux. Le travail, d’abord, qui joue un rôle primordial dans la satisfaction, non seulement à cause du revenu qu’il procure, mais aussi par les relations sociales qu’il occasionne et du sens qu’il donne à l’activité individuelle. C’est d’ailleurs surtout à travers la sphère professionnelle que le niveau d’éducation contribue à la satisfaction, même si éducation et confiance entretiennent un lien plus direct.
On constate hélas que dans le domaine du travail, peut-être plus que dans tout autre, le célèbre « déficit de bonheur français » s’exprime à travers un niveau d’insatisfaction plus élevé que chez nos voisins européens. Les Français se montrent particulièrement insatisfaits de leur rémunération et des perspectives de carrière offertes par leur entreprise. Et quand ils jugent leur vie professionnelle dans son ensemble, l’insatisfaction est visible chez toutes les catégories socio-professionnelles, hormis les cadres.
C’est peut-être pourquoi, à l’inverse de nombreux pays, le passage à la retraite ne semble pas constituer en France une charnière difficile, de nature à provoquer une baisse de bien-être, même s’il occasionne une perte de revenu. Pour les chômeurs, il représente même une sortie de la précarité et du stigmate, nettement favorable au bien-être. Les liens sociaux et privés ensuite, dont on mesure l’importance, en creux, par le sentiment de solitude particulièrement délétère qui s’exprime dans certaines communes du territoire français.
À cet égard, les dix dernières années ont peut-être été celles du triomphe de la géographie, avec la prise de conscience de l’importance de l’environnement immédiat des personnes. C’est en effet dans les territoires en déclin démographique, d’où la vie sociale se retire, que l’on a vu récemment se manifester des signes de fort mécontentement : insatisfaction, abstention électorale, et manifestations de Gilets jaunes. Au total, les Français se classent plus mal que les autres Européens sur un grand nombre de mesures subjectives de bien-être malgré une situation beaucoup moins défavorable en matière d’indicateurs objectifs.
Nous y voyons le signe d’une société inquiète, mal à l’aise avec les transformations qui la traversent. Peut-être s’agit-il de la crise de croissance d’une société de statut, dominée par une aristocratie républicaine et laïcisée, forcée de s’adapter à une concurrence mondialisée. Peut-être aussi, dans une société centralisée où l’on attend beaucoup de l’État, est-il particulièrement angoissant de voir l’échelle nationale largement dépassée par l’ampleur des changements mondiaux.
Ce serait alors parce que l’État n’a plus les moyens de protéger le lien social et les individus contre les chocs nombreux imposés par la vie économique que l’argent revêt une importance particulièrement forte aux yeux des Français. Le pouvoir d’achat devenant plus déterminant pour la position sociale, il devient, a contrario, une source de frustration pour les classes moyenne menacées de précarisation financière, comme les Gilets jaunes.
Le dernier chapitre de cet ouvrage ajoute une profondeur historique à l’analyse, et suggère que la notion de crise, apparue au milieu des années 1970, s’est durablement installée dans la société française, ainsi que le pessimisme et l’insatisfaction qui l’accompagnent. Ces observations, réalisées au cours des années passées, revêtent une teneur nouvelle à la lumière de la crise du Covid-19.
Le confinement aurait-il permis la revanche des Gilets jaunes, jouissant du supplément d’espace que leur offrait une résidence plus éloignée des centres vitaux de l’économie, délivrés des trajets domicile-travail, et logés à la même enseigne de désocialisation que le reste du territoire ? On verra qu’il n’en est rien et que les conditions de vie et de travail de ce groupe ont été particulièrement défavorables à leur bien-être pendant le confinement.
Pour ceux qui l’ont pratiqué, le télétravail a-t-il occasionné une perte de liens sociaux et un effet délétère sur le bien-être, ou au contraire, a-t-il permis d’améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ? Cette question du travail à distance constituera sans doute la grande mutation des années à venir, et il importe de comprendre rapidement quel impact sur le bien-être, et notamment sur le bien-être au travail, il est susceptible d’exercer.
D’autres hypothèses qui paraissaient raisonnables ne semblent pas avoir été validées par les enquêtes. Ainsi, le pessimisme et la défiance des Français vis-à-vis des institutions politiques et le climat social en entreprise globalement plus défavorable en France que dans le reste de l’Europe, auraient pu compromettre la reprise de l’activité après la pause imposée par le premier confinement. Cela n’a pourtant pas été le cas.
A lire ici http://www.cepremap.fr/depot/2021/01/Le-Bien-etre-en-France-%E2%80%93-Rapport-2020.pdf