Les rapports de prédation posent des enjeux de co existence des humains avec les autres êtres vivants (dont les êtres humains) au sein d'un même territoire aux ressources partagées. Lien vers le documentaire : http://ecocidechangeroudisparaitre.com/
De nouveaux éléments ont été ajoutés à cette note le 8 mars suite à la guerre en Ukraine ICI
L'objet de cette note de réflexion qui croise les regards est d'enrichir notre compréhension de la prédation avec les rapports de prédation et explorer comment ceux ci sont opérants dans divers champs d'application comme l'habitat, l'économie, le droit...
En effet, prendre conscience des rapports de prédation entre les humains et la nature est nécessaire à la prochaine évolution des comportements durable et coordonnée. Face à la nécessité de concilier l'économique, le social et l'environnemental, face aux enjeux écologiques, face à l'impératif de vivre ensemble ...nous inciter à changer notre rapport à soi, aux autres et la nature, voilà ce qui m'anime !
Les rapports de prédation posent des enjeux de co existence des humains avec les autres êtres vivants au sein d'un même territoire aux ressources partagées.
« La sixième extinction est en cours. Elle est causée par l’humain et elle est extrêmement rapide, des milliers d’espèces disparaissant chaque année. Enki Bilal pense que l’Homme est l’accident le plus tragique qui ne soit jamais arrivé à notre planète Terre. La destruction écologique semble inévitable et, avec elle, c’est l’extinction de notre espèce qui est en jeu à brève échéance. ici
Il faut changer notre rapport au monde. C’est cela, l’hominisation : une prise de conscience permanente. Comme le rappelait Michel Serres : « L’hominisation, cela commence maintenant et cela ne s’arrête jamais » (ici). L'hominescence est un processus qui, par des écarts répétés, renouvelle l'hominisation. En s'exerçant, l'humain construit chaque fois une nouvelle maison sur un nouvel équilibre. Il habite le monde autrement. Il évolue.
L’Humain a tendance à oublier que la Nature n’est pas un simple environnement, et qu’il dépend au quotidien de ce qu’elle est. D'autant plus que nous humain, nous coévoluons avec l’ensemble des organismes d'après Pascal Picq notamment les micro-organismes qui nous entourent (ici).
L’interdépendance de tous les systèmes de la Planète signifie que la survie des uns dépend de celle des autres et réciproquement », assène Olivier Barrière, chercheur IRD à l’UMR ESPACE-DEV spécialisé en anthropologie juridique de l’environnement. Face à la dégradation des écosystèmes entraînant perte de biodiversité et d’habitats, il propose – au nom de toute une équipe - un nouveau concept, la « coviabilité socio-écologique » (ici)
Mais notre rapport de prédation freine de nouvelles possibilités d'évolution des comportements durables et coordonnées.
Pour Vigne : « La verticalisation de l’image mentale du monde aurait amené les hommes à concevoir l’idée de dominer les plantes et les animaux, au point de domestiquer ces derniers pour disposer de sources de nourriture mieux contrôlables ».
Murray Bookchin est l’un des pionniers de l’écologie sociale. Pour cet autodidacte américain, l’exploitation de la nature découle directement des rapports de domination au sein des sociétés humaines. Bookchin met l’accent sur l’évolution d’éco-communautés et sur la coopération multispécifique, afin de cesser d’opposer le monde vivant au monde non vivant.
Reposant sur une approche biocentrique, les Droits de la Nature renversent le paradigme anthropocentré occidental : l’Homme ne règne plus en souverain sur les écosystèmes mais est envisagé comme l’un des membres du Vivant. En ce sens, les Droits de la Nature dépassent le traditionnel Droit de l’environnement qui se borne à protéger une nature outil et propriété de l’être humain aux seules fins d’une croissance alimentée par une pression continue sur les ressources naturelles (ici).
La prise en compte du rôle de l'environnement sur le comportement des humains est primordiale. Le modèle établi par T. Homer-Dixon décrit la façon dont le stress environnemental conduit à un climat d’insécurité et d’instabilité au sein de la société. Celle-ci entre alors en compétition pour les ressources concernées, ce qui peut aboutir à de violents conflits. La thèse développée par T. Homer-Dixon contient des parallèles avec les théories économiques de marché (ici). Le stress sur les ressources au sens large est un élément décisif du rapport de prédation.
C’est ainsi que des conflits déclenchés par la compétition sur des ressources environnementales peuvent se manifester et apparaître sous la forme de conflits ethniques, ou de conflits entre classes sociales. Un stress environnemental brutal peut donc devenir, sous certaines conditions sociales, un catalyseur creusant une segmentation sociale existante et intensifiant la compétition et les conflits entre les différents groupes d'après Jean Clement Martin, historien français. « Le stress naît de la perception du manque de ressources disponibles pour accomplir une tâche, d'après le docteur Phil Birch, chercheur britannique en psychologie à l'Université de Chichester.
Les dimensions environnementale, sociale, politique et économique, sont à prendre en compte. Leur corrélation est nécessaire pour donner une explication complète des situations conflictuelles liées à l’environnement. Le vivre ensemble entre êtres vivants (et non vivants) comme entre êtres humains étant un enjeu politique au sens de la gestion de l'habitat partagé. "Chaque composante de la communauté de la Terre dispose de trois droits : le droit à l’existence, le droit à l’habitat, et le droit de remplir son rôle dans les processus sans cesse renouvelés de la communauté de la Terre". Thomas Berry, prêtre catholique passioniste américain, théologien, écologiste.
Ce « vivre ensemble » qui s’appuie sur une reconnaissance de l'appartenance de l'homme au vivant et de la dépendance de l’Homme aux autres composantes du vivant serait une voie à explorer permettant de changer notre rapport à soi, aux autres et à la nature.
Le philosophe du vivant contemporain Baptiste Morizot établit dans Manières d’être vivant un lien entre notre rapport à nous-même, en tant qu’individu, et notre rapport aux autres vivants, humains comme non-humains. Maxime Caron, Anthropocène, Philosophie, Education "Dépasser les rapports de prédation dans les relations humaines pour permettre une coopération véritable à l'ère de l'anthropocène", partage avec nous que l'intuition de Baptiste Morizot est qu’il existerait un parallélisme entre le rapport de domination, que l’on exerce tantôt sur autrui, et parfois justifiés de différentes façons et notre rapport à nous-même. Se retrouver maître et possesseur de la nature, c’est en un sens se retrouver également maître et possesseur de soi, de son comportement. C’est une sorte de maîtrise et de contrôle paradoxalement déchainé où l’on tente de réduire le vivant à ce que l’on veut en faire (ici).
C'est pour atteindre cet idéal que nous devons prendre conscience des rapports de prédation que nous entretenons. En prendre conscience pour éviter de nous comporter ainsi et pouvoir mieux vivre ensemble sur terre #noussommesvivants
Le rapport de prédation dans le monde animal
La prédation est un emprunt de la Renaissance [1574] au latin praedator, « voleur, pilleur », lui-même issu de praeda, « proie » et de prehendō, « prendre », qui exprime le fait de se saisir de quelqu'un ou de capturer une proie déterminée par sa poursuite est une interaction trophique directe, de nature antagoniste, entre deux organismes, par laquelle une espèce dénommée prédateur, consomme entièrement ou partiellement une à plusieurs espèces dénommée(s) proies (ici). La prédation est toujours le résultat d’un rapport de force favorable au prédateur et défavorable à sa victime.
La prédation interspécifique se passe lorsqu'un organisme tue et s'alimente d'un autre, sans tenir compte du fait qu'ils appartiennent tous les deux au même règne animal (mais pas à la même espèce), ainsi un prédateur est un organisme qui chasse, tue et mange d'autres organismes ou êtres vivants pour sa survie à court terme.
Dans le monde animal les relations entre proie et prédateur déterminent le fonctionnement et l'organisation des réseaux alimentaires dits « réseaux trophiques » (ou pyramides alimentaires), avec à leur sommet des prédateurs dits « absolus » (ceux qui ne sont pas eux-mêmes la proie d'autres prédateurs) (ici)
D'après K Lorenz il faut distinguer l'agression de la prédation interspécifique. Le comportement de chasse qui précède la capture de la proie et même la mise à mort de celle-ci doivent être distingués avec soin du comportement d'agression. Les attitudes et les mimiques ne sont pas du tout les mêmes (ici)
Il suffit pour en être convaincu d'observer le comportement du chat qui a capturé une souris : le félin ne présente pas les signes de la colère qui sont si nets quand il s'en prend, par exemple, à un congénère. Bien au contraire, son attitude est plutôt celle du jeu. La motivation du chat joue un rôle majeur dans les séquences de jeu et de prédation. La probabilité de tuer une proie serait dictée par la taille de la proie et le niveau de faim du chat. L. Hall & J. W.S Bradshaw, 1998, The influence of hunger on object play by adult domestic cats, Applied Animal Behaviour Science (ici)
En 1859 paraît L’Origine des espèces, qui fait état de cette théorie de l’évolution ou de la « descendance avec modification ». Elle est résumée par Darwin sous le concept de « Sélection Naturelle », qui n’est rien d’autre, une fois donnée la variabilité et l’hérédité, que l’effet nécessaire de la concurrence vitale unifiée sous le concept de sélection naturelle.
Charles Darwin complète la réflexion sur la prédation dans le monde animal en introduisant la notion de concurrence intraspécifique. Une compétition intraspécifique est une concurrence au sein d'une même population pour l'accès aux ressources limitées du milieu. La compétition pour la même ressource provient du fait que la ressource est limitée ou que les compétiteurs interfèrent pour obtenir la ressource. Par exemple, quand un lion dévore les bébés d'un de ses rival qu'il a dérouté.
A lire Darwin on comprend que la prédation au sein d'une même espèce est légitimée par la survie, elle même régie par la loi du plus fort. Mais Darwin parle aussi de cruauté inutile pour désigner la prédation au sein d'une même espèce. Il la constate par exemple dans le mode de développement larvaire de l'Ichneumon aux dépens des chairs vivantes d'une chenille en pointant la souffrance (ici).
Dans le développement des idées exprimées par Darwin lui même dans The Descent of Man, Kessler pose à côté de la loi de la Lutte réciproque, la loi de l’Aide réciproque, qui est beaucoup plus importante pour le succès de la lutte pour la vie, et surtout pour l’évolution progressive des espèces.
Si le principe de survie d'un organisme vivant ou d'évolution d'une espèce ne peut pas suffire à expliquer la prédation, c'est qu'il convient de ne pas considérer isolément le prédateur (ou les proies d'une espèce prédatrice) mais de penser la relation de prédation entre le prédateur et la proie dans un environnement de ressources mutuelles. Ce sont des relations qui incluent les démonstrations de force ou les menaces, directes ou indirectes, ainsi que la fuite, l’évitement et la soumission. Le plus souvent, il s’agit de préserver un accès à un territoire ou à de la nourriture, souvent les deux sont liés.
Les rapports de prédation font appel à de nombreuses variables comme:
- la force du prédateur et de la proie (taille du prédateur par rapport à sa proie, taille minimale et nature de la proie) et plus largement l'emprise du prédateur sur la proie
- les intentions qui guident la prédation comme l'alimentation (intention volontaire ou non de consommer), survie et concurrence (préservation de ses ressources....) mais aussi la répétition des actes de prédation
- l’environnement, les prédateurs et les proies vont être plus ou moins avantagés, selon les environnements...et ceux ci conditionnent les stratégies de fuite ....et de survie
- les ressources de l'environnement pour les organismes vivants du territoire qu'ils partagent qui vont exercer (ou pas) une pression sur les protagonistes
Vivre au sein de groupes sociaux implique un coût pour les animaux, principalement en raison des conflits susceptibles d’émerger et de la concurrence. Bien que beaucoup de combats ayant pour objet des positions sociales soient ritualisés, certains impliquent une violence réelle et continue. Le statut social de chaque animal dans la hiérarchie influence considérablement son niveau de bien-être. Chez les animaux de rang inférieur de ces espèces sociales, des réponses dépressives et une diminution des possibilités de reproduction sont souvent observées (ici).
Une fois prise en compte cette relation, on peut poser que le rapport de prédation peut induire un stress. Le stress induit par la prédation provient de deux sources. En premier lieu, il trouve son origine dans la poursuite prédatrice elle-même, au cours de laquelle les animaux doivent faire face au stress de la fuite ou du combat. Deuxièmement, le stress découle des scénarios dans lesquels l’animal de proie est obligé d’équilibrer ses besoins alimentaires et le risque de prédation et de décider soit de diminuer sa recherche de nourriture, soit de risquer une plus grande exposition aux prédateurs. (ici) Un stress qui affecte les capacités de raisonnement, de motricité fine, à coopérer efficacement.
Dans le monde des humains, l'analyse des conflits s’est attachée à la question de la prédation du point de vue du prédateur : tous les protagonistes d’un combat sont assimilés à des agresseurs, quelle que soit la relation (de domination) qui les lie. Le terme de « proie » est utilisé uniquement pour désigner les vaincus du combat.
Mais Vahabi explore la relation entre le prédateur et ses victimes, il souligne que la présence d’une domination ex ante permet de différencier les protagonistes car elle détermine celui qui est capable de se comporter comme un agresseur (tout en se protégeant) et celui qui n’a pas d’autre choix que de se protéger. Ce type de conflit est assimilé par Mehrdad Vahabi à « une chasse à l’homme » dans laquelle le prédateur traque une proie qui a pour seule stratégie de survie la fuite. Face à la chasse à l’homme, la fuite est l’élément clé de la résistance, même si la proie peut combiner sa fuite avec des combats de faible intensité (ici) Ce rapport de prédation ou la victime ne peut pas se défendre concerne les persécutions, la chasse aux juifs ou aux Indiens, le colonialisme, l’esclavage moderne ou encore les raids terroristes.
L'analyse des conflits s'est aussi intéressée aux guerres environnementales. Un stress sur les ressources naturelles peut conduire à des guerres : des guerres de ressources, environnementales, de pillage ou de sécession liées aux ressources naturelles. Un État détenteur de ressources en hydrocarbures a neuf fois plus de risques d’être le théâtre de conflits armés qu’un État non pourvu (ici)
L’analyse des violences suppose de se placer à trois niveaux : premièrement, repérer, à la base, les racines des conflits en termes de rapports de pouvoir, de structures sociales concernant notamment les accès différenciés aux emplois rémunérés, aux ressources naturelles et au foncier des jeunes. La probabilité de conflit se réduit quand le revenu augmente (l’impact du revenu par habitant est monotone et décroissant mais le revenu au carré est non significatif) (ici)
Le stress sur les ressources au sens large est un facteur de guerre. Le risque de déclenchement d’un conflit ou d’une guerre civile sera très élevé dans un pays regroupant les conditions les plus défavorables (pays très peuplé où le revenu par habitant est faible, les ressources en quantité relativement réduite et la société bipolarisée).
L'humain super prédateur
Le superprédateur ultime par son emprise sur la planète et ses congénères.
- Aucune espèce animale, dans des conditions normales, ne s'attaque à l'homme pour se nourrir alors qu'il est prédateur des autres espèces vivantes. La prédation humaine doit être considérablement réduite pour la survie de toutes les espèces.
- Superprédateur au sein de sa propre population d'êtres humains. Les plus faibles délaissent leur liberté au profit de ceux des plus forts, ces derniers étant perçus comme étant au pouvoir sans les laisser décider.
Si on compare les taux de prédation selon les niveaux trophiques des proies – c’est-à-dire, pour simplifier, la place qu’occupe un organisme dans la chaîne alimentaire, allant des planctons aux carnivores qui ne se nourrissent que de carnivores. De manière inattendue, les humains exercent, sur terre, une pression bien plus forte sur les grands carnivores que sur les herbivores, et ce, alors qu’ils ne les consomment pas. En mer, en revanche, l’impact de l’homme est élevé à tous les niveaux, qu’il s’agisse de la pêche aux anchois, aux harengs, ou de la chasse aux requins et aux thons. Ainsi les travaux de l’équipe de Chris Darimont, de l’université Victoria au Canada, ont montré que : les humains tuent les grands carnivores – comme les ours, les loups ou les lions – à un rythme neuf fois supérieur à celui qui voit ces prédateurs s’entre-tuer dans la nature. Ils exploitent les poissons à un taux quatorze fois supérieur, en moyenne, à celui des autres prédateurs marins (ici)
Les écologues et les paléontologues ont constaté que dans la Nature, même sur de grandes échelles de temps (millions d'années), les prédateurs sauvages ne semblent pas (ou très exceptionnellement), avoir jamais fait disparaître les populations de leurs proies.
Quand la seule prédation semble avoir fait disparaître une ressource par surexploitation, c'est alors localement, sur des territoires insulaires et/ou très réduits et/ou pauvres en ressources que cela s'est produit). En effet, les expériences sur les interactions prédateurs-proies, dans un système fermé, montrent que les organismes finissent par s’auto-détruire par la mort d’abord de la proie puis du prédateur. En effet, le prédateur surexploite sa proie et s’éteint. (ici)
Hobbes décrit que l’homme est un loup pour l’homme” dans sa théorie du Léviathan : “Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. Dans un tel état, il n’y a aucune place pour un activité laborieuse, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu’elles requièrent beaucoup de force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps; pas d’arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève
Mais la Boétie découvre, par glissement hors de l'Histoire, que la société où le peuple veut servir le tyran est historique mais qu'elle n'est pas éternelle et n'a pas toujours existé : « quel malencontre a été cela, qui a pu tant dénaturer l’homme, seul né de vrai pour vivre franchement [librement] ; et lui faire perdre la souvenance de son premier être, et le désir de le reprendre ? » C’est bien le peuple qui délaisse la liberté, et non pas le tyran qui la lui prend. Cette chute de la société dans la servitude volontaire de presque tous à un seul fait apparaître un homme nouveau, qui n'est plus un homme, pas même un animal, puisque « les bêtes… ne se peuvent accoutumer à servir, qu’avec protestation d’un désir contraire… », cet être difficile à nommer est dénaturé. Car la servitude est contraire à l’état de nature : « Ce qu’il y a de clair et d’évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c’est que la nature, premier agent de Dieu, […] nous a tous créés et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères. » (ici)
En 1833, s’installe une nouvelle manière de comprendre la société : la division conflictuelle entre bourgeoisie et prolétariat est appréhendée comme un ressort essentiel du fonctionnement, ou plutôt du dysfonctionnement, des sociétés industrielles, dans la mesure où une classe, la bourgeoisie, est accusée d’en exploiter une autre, le prolétariat. C’est dans un tel contexte qu’apparaît l’expression « exploitation de l’homme par l’homme », pour en exiger l’« abolition » ou la « fin ». Jules Leroux, « De l’économie politique considérée comme science » (ici)
Camus parcourt les figures de l’homme révolté, celui qui dit non, qui refuse de subir. La révolte a une valeur positive, à l’encontre du ressentiment. Elle appelle à refaire le monde, à la redéfinition de l’ordre et des règles qui le fondent. Mais, elle peut aller à sa perdition, lorsque la tentation nihiliste de la destruction totale l’emporte (ici)
L'origine culturelle de la prédation
De la Génèse à Descartes, la puissance humaine semble légitimée à avoir une emprise sur la planète.
Le verset 26 de Genèse 1 peut "expliquer" le comportement prédateur et exploiteur de l'homme vis-à-vis de la Nature. : «Puis Dieu dit : faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. […] Dieu créa l'homme et la femme. […] Et leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.»
C'est sur ce fond qu'un Descartes accréditera l'exploitation des ressources naturelles «par la Nature, je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire ; mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même».
Si l’Origine des espèces rencontre un très grand succès, Wallace aménage la théorie, dont il est pourtant lui-même un des premiers instigateurs. Il affirme l’exceptionnalité de l’homme et lui attribue une genèse et une place spéciale dans l’ordre du vivant, au dessous du vivant. Alors que pour Darwin, si l’homme est un animal singulier, c'est par sa capacité à être moral, c’est-à-dire à faire preuve de sympathie sans être motivé par un lien direct de parenté ou un intérêt égoïste à court terme. Il décrit ainsi longuement comment l’homme, développant l’instinct de sympathie et les instincts sociaux en général, en même temps que ses facultés intellectuelles, tend à fonder des sociétés où sont instaurées aides et assistances aux plus faibles et fragiles des individus. (ici)
Animalité et humanité sont niées dans un même mouvement logique à la fois anti-naturaliste et anti-humaniste. L’humain ne doit pas être nié en même temps dans le fait d’être simplement vivant et dans son humanité. L’évolutionnisme propose des réponses simples à la complexité de la question humaine( ici).
La prédation de la capacité d'agir humains / non humains
Le prédateur humain ne se contente pas d’exploiter les autres espèces, mais surtout, s’emploie à exploiter sa propre espèce, tout simplement parce que c’est celle qui dispose du plus fort potentiel à travailler et obéir. Comme l’a étudié l’anthropologue français Clastres, la sédentarisation, qu’elle soit d’ailleurs du chasseur-cueilleur ou de l’agriculteur (élevage et culture) et l’avènement de l’artisanat qui est le principe de la spécialisation du travail vont permettre au prédateur humain de passer de l’utopie à la réalité, quant à sa volonté d’exploiter ses congénères à son profit quasi exclusif (ici)
Hervé Hum dans son essai sur la société des citoyens responsables indique que le prédateur humain use d'arguments logiques pour convaincre les autres membres de la communauté, de renoncer à une partie de leur propre temps de vie pour le dédier au profit du prédateur humain. Et ce, jusqu’a l’aliénation totale et don de leur vie. Aussi pervers que cela puisse être analysé, cela fait partie intégrante de sa nature, du moins, d’une de ses caractéristique avec laquelle il doit composer. (ici)
Toutefois, la prédation humaine et le pouvoir qu’elle exerce actuellement sur toutes les autres natures, n’est pas une fatalité de sa condition, mais seulement une étape de son évolution. Si tant est que la volonté est de poursuivre son évolution.
Si d'un coté il s'agit de se libérer de son prédateur, de l'autre il s'agit de développer ses capacités d'agir » : c'est à dire la capacité concrète des personnes (individuellement ou collectivement) d’exercer un plus grand contrôle sur ce qui est important pour elles, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s'identifient.
Paul Ricoeur, le philosophe, écrivait en 1990 : « La souffrance n'est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la diminution, voir la destruction de la capacité d'agir, du pouvoir faire, ressentie comme une atteinte à l'intégrité de soi ». C'est autour de cette idée de souffrance mais aussi d'une véritable atteinte à la capacité des personnes à pouvoir agir, du sentiment d'impuissance, de cette oppression intériorisée, que nous explorons, que nous cherchons, que nous souhaitons créer.
Concrètement, cela se réfère à la possibilité d'influencer ou de réguler les événements de la vie quotidienne qui ont une importance particulière pour nous. Plusieurs chercheurs utilisent aussi des expressions imagées, comme « maîtriser sa vie » ou encore « prendre sa vie en main » pour décrire cette réalité. On peut aussi appréhender ce phénomène à l'aide de concepts plus théoriques en considérant qu'il s'agit essentiellement de « restaurer le statut d'acteur » ou de « restaurer le rapport à l'action » (ici)
Il est également possible de s'intéresser à cette réalité sous un angle strictement philosophique en l'abordant par exemple à partir de la notion de « sujet capable » telle que Paul Ricoeur l'a approfondie. Bref, il s'agit à la fois d'une réalité très quotidienne et par certains aspects d'une dimension fondamentale de la condition humaine.
Dans "Quelle place faut-il faire aux animaux en sciences sociales ?" Dominique Guillo pose les limites des réhabilitations récentes de l’agentivité animale (ici) Il écrit que les animaux n’ont pas été totalement négligés par l’anthropologie mais celle-ci aurait toujours refusé, par principe, de leur reconnaître une forme d’agentivité, en les étudiant seulement pour autant qu’ils peuvent être des supports de symbole, des objets de représentation, des instruments pour le rituel, ou encore des outils pour l’action ou des biens de consommation ; autrement dit, pour autant qu’ils sont des objets à la disposition de l’être humain, et en aucun cas des sujets.
Le discours de l' anthropologie du XXe siècle, serait celui d’un Centre, qui imposerait sa domination au reste du monde à travers l’instauration d’un Grand partage entre « Eux » et « Nous ». Par ce geste, ce Centre reléguerait dans sa périphérie, en cercles concentriques, les êtres qui n’auraient pas, ou peu, voix au chapitre et ravalerait au rang de croyances fausses ou inconsistantes les ontologies dont ils sont porteurs : la femme, l’indigène, l’hybride, l’animal, les post-humains, les cyborgs, les « quasi-objets », les objets proprement dits (Haraway, 1991, 2008). Dans un tel cadre, la tâche qui incomberait désormais au chercheur en sciences sociales serait tout d’abord de faire l’anthropologie de ce regard « moderne », ce qui impliquerait de faire l’anthropologie de ses agents par excellence – la science et la technique (Latour, 1991, 2001), d’où le développement des Science Studies – et conjointement de réhabiliter les ontologies dont seraient porteuses les autres sociétés humaines et, plus largement, les autres êtres, humains comme « non-humains ».
La prédation de l'habitat
Le chef Seattle (1786-1866) chef amérindien devint en 1854 le porte-parole des négociations avec le gouvernement américain. Une parole inspirante sur les rapports de prédation de l'habitat. « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ? Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère mais son ennemi, et lorsqu’il l'a conquise, il va plus loin. Il traite sa mère la terre, et son frère le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre, comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui d’un désert. Je ne sais pas, nos mœurs sont différentes des vôtres. La vue de vos villes fait mal aux yeux de l’homme rouge. Mais peut-être est-ce parce que l’homme rouge est sauvage et ne comprend pas. Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre, mais si nous décidons de l’accepter j’émettrais une condition : l’homme blanc devra traiter les bêtes de ces terres comme ses frères.
Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre. J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur les prairies, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Je suis un sauvage et je ne comprends pas que le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister.
Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit, car ce qui arrive aux bêtes arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent. Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la terre. Toutes choses se tiennent, comme le sang qui unit une même famille, toutes choses se tiennent. Tout ce qui arrive à la Terre, arrive au fils de la Terre. Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie, il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même. » Source https://lnkd.in/gkAWKg_g
Matthieu Lahure, agrégé de philosophie, docteur en philosophie morale et politique à posé des éléments de réflexion sur l'habitat qui nous permettent d’envisager une fonction politique de l’habitat. A partir de son analyse des textes de H. Arendt il nous invite à distinguer l'habitat de sa simple vocation sociale à organiser la coexistence des individus et la relier à ce qui est politique (ici)
En résumé, l’habitat aurait un sens naturel (survivre) et un sens technique (rendre habitable par des œuvres durables, utiles et belles), mais aussi un sens introuvable du point de vue de l’action où l’homme révèle pourtant sa spécificité et actualise sa liberté.
Comme ce que les hommes bâtissent a une durabilité supérieure à ce qu’exige la fonction de logement de nos maisons alors se pose la question du habiter ensemble en prenant en compte tous les êtres vivants.
Les termes « habitat » et « habiter » chez H. Arendt ne traduisent pas à première vue des considérations architecturales, urbanistiques ou géographiques. Habiter doit être entendu dans un sens proche de celui utilisé par Heidegger dans deux articles célèbres pour décrire une certaine présence au monde. Il n’y aurait pas de pensée spécifique de l’habitat chez Arendt mais la reprise de l’hypothèse selon laquelle il existe une relation ontologique entre les hommes et l’espace qu’ils occupent. (ici)
Plus de huit ans après la loi dite « Grenelle II » le décret relatif à la protection des biotopes et des habitats naturels a été adopté en 2018. C’est en effet l’article 124 de la loi Grenelle II qui a, pour la première fois en droit français, élargi les objectifs de protection du patrimoine naturel pour y inclure celle des habitats naturels en tant que tels, c’est-à-dire indépendamment de la présence ou non d’espèces protégées en leur sein. Jusqu’alors, seule la protection des habitats d’espèces protégées était assurée, notamment par le biais des arrêtés de protection de biotope des articles R. 411-15 et suivants du code de l’environnement.
L’apport principal du décret concernant les mesures de protection des biotopes est l’extension de leur champ d’application à de nouveaux milieux. Jusqu’à présent, les arrêtés de biotope ne pouvaient être édictés que sur des « formations naturelles, peu exploitées par l’homme ». La liste (non exhaustive) de ces formations naturelles est d’ailleurs complétée pour accueillir, outre les « mares, marécages, marais, haies, bosquets, landes, dunes, pelouses », deux milieux propres aux outre-mer : les récifs coralliens et les mangroves. L’objectif est d’améliorer l’adaptation de l’outil au contexte écologique de ces territoires (ici)
Surtout, pourront être protégés en tant que biotope des « bâtiments, ouvrages, mines et carrières (…), ou tous autres sites bâtis ou artificiels, à l’exception des habitations et des bâtiments à usage professionnel » (article R. 411-15 II 2°). Cette extension était attendue pour la protection de certaines espèces, notamment les chiroptères (chauves-souris), qui utilisent des constructions humaines (par exemple les combles d’églises) comme habitats. Au-delà des sites bâtis, les sites « artificiels » sont plus largement visés, et on peut notamment penser aux exploitations agricoles.
La prédation économique
Ce qui fait la richesse des nations est leur aptitude à produire des biens et des services et il en est théoriquement de même pour les individus, mais pour les uns comme pour les autres, existe un phénomène peu étudié par la science économique : la prédation.
La notion de prédation économique a été théorisée pour la première fois en 1899 par Thorstein Veblen dans sa Théorie de la classe de loisir. Le fondement de la démarche de Veblen consiste en une certaine représentation de la nature humaine (ici)
Veblen a marqué d’une pierre angulaire les approches évolutionnistes en économie politique. Dans cette optique, la prédation constitue une phase de développement de la culture d’une société, atteinte dès lors que « les membres du groupe adoptent l’attitude prédatrice (c’est-à-dire rapace) comme attitude spirituelle permanente et orthodoxe ; [que] la lutte est devenue l’indice dominant d’une théorie courante de la vie ; [que] le sens commun en arrive à juger des gens et des choses en vue du combat ».
Pour Veblen, « la rivalité, dans les conditions de la vie rapace, a débouché d’une part sur une forme de mariage à base de coercition, et d’autre part sur la coutume de posséder ».
Le caractère de vol, inhérent au développement capitaliste des forces productives, n'apporte pas de progrès à la société future. Marx a tenté d'analyser comment la logique du capital s'écarte du cycle naturel éternel et provoque finalement diverses discordances dans l'interaction métabolique entre les humains et la nature (ici). La concurrence est une des caractéristiques majeures du capitalisme. Pour le marxisme elle n'a rien d'un mécanisme pur et automatique comme chez certains économistes libéraux, mais elle a un rôle d'aiguillon primordial.
D'après l'institut Diderot, beaucoup de difficultés rendent difficile l’appréciation de la prédation au premier rang desquelles l’impossibilité de définir une norme objective (ici).
Elle se camoufle pour l’essentiel dans l’impossibilité de définir un juste prix. Le seul prix vraiment incontestable est celui qui résulte de l’offre et de la demande, mais celles-ci sont fréquemment biaisées parce qu’il y a dissymétrie de l’information ou une position dominante d’un acteur, culminant dans les monopoles : quand un laboratoire pharmaceutique sort un remède nouveau , la fixation du prix dépend de l’organisation de la demande – acheteur public unique comme la sécurité sociale par exemple ou non – et de sa richesse : l’utilité du médicament va être la même dans un pays riche et un pauvre, mais le prix différent.
Lorsque de grandes entreprises fusionnent, c’est toujours au nom de l’efficacité économique, parce qu’une entité plus grande fait des économies d’échelle ; en vérité, des études ont mis en évidence que la principale source de gains d’une fusion entre concurrents étaient la réduction de la concurrence (ici).
La détention d’une ressource rare dont les besoins explosent brutalement est également à l’origine de rapports de pouvoir. C’est le cas des prix du pétrole ; jusqu’en 1974, la faiblesse des pays producteurs permettaient de leur imposer un prix bas, qui traduisait le déséquilibre des forces en présence. La création de l’OPEP a permis de renverser la situation et de créer une rente dont le montant n’est pas justifié par l’offre et la demande, mais par la maitrise de l’offre.
Dans Tout peut changer Naomi Klein livre sa prise de conscience du lien entre capitalisme et changement climatique. La brutalité de l’exploitation des hydrocarbures au Canada, où elle réside, lui apparaît comme un élément de l’« écocide », cette guerre globale contre la nature. L’auteure de No Logo décrit un monde qui se gave d’énergies fossiles récoltées dans des conditions de plus en plus insensées, au moment où tous les signaux climatiques sont au rouge. Nul n’est désormais à l’abri de la fureur de l’extractivisme, comme en témoigne le cas de l’île de Nauru, dans le Pacifique sud, dévastée par l’exploitation des phosphates et confrontée à la hausse du niveau des mers.
William K. Black a consacrée à la crise des Savings and Loans, où il développe la notion de « fraude du contrôleur » (control fraud) - une fraude au détriment d’une organisation, commise par ceux-là mêmes qui sont chargés de la contrôler. (ici)
La prédation dans les entreprises
Le principe prédateur en matière de gouvernance d’entreprise a été étudié dans un article de George Akerlof et Paul Romer sur le « pillage ». Avec George Akerlof on quitte l’économie normative pour s’intéresser aux manières de faire des acteurs. L’économie n’est plus regardée que du point de vue des prix, de leurs imbrications mutuelles et de leurs déséquilibres probables, mais du point de vue du décideur dans ses conditionnements psychologiques et organisationnels (ici)
Le progrès technique (Rifkin, Trenkle, McAfee, Ford, Lohoff) entraîne le remplacement du travail productif par un travail improductif de prédation (souvent sous forme de services aux entreprises) et de servitude (souvent sous forme de services à la personne des pauvres aux riches).
D'après Danièle Linhart, depuis le taylorisme il existe un lien de subordination très prégnant au cœur du contrat salarial qui fait que chaque salarié doit obéissance à son supérieur hiérarchique (qu’il soit dans le secteur privé ou public). Or les nouvelles techniques de management ne sont que de nouvelles modalités de « mise au travail » des salariés qui poursuivent toujours le même objectif du profit et de la satisfaction des actionnaires. Au lieu de « libérer » le salarié, ces innovations managériales comme le management de la bienveillance, Chief Happiness Officer, l’entreprise agile, ou encore l’entreprise libérée, ne font que renforcer le lien de subordination employeur-employé et pérenniser un modèle économique qui est prédateur, du point de vue du bien être des salariés et du respect de leur professionnalité (ici)
Dans son ouvrage "des dominants très dominés. Pourquoi les cadres acceptent leur servitude" Gaëtan Flocco met ainsi en avant l’origine des cadres, issus principalement de milieux favorisés et leur perception « entre adhésion et naturalisation » de la globalisation dans laquelle ils sont pris. Surtout, il analyse leur rapport enthousiaste à « l’autonomie », aux « challenges » ou à la « performance » comme des éléments de mystification découlant de « la nécessité de transfigurer ces contraintes [celles de la production] en source de satisfaction, en en faisant des défis à relever et des vecteurs de performance » (ici).
La prédation dans la société
La notion de prédation est abordée en sociologie comme un rapport social particulier d’exploitation avec des travaux mobilisant les notions de domination rapportés aux classe, races et genres.
La notion de domination trouve historiquement son origine, en sociologie, dans les travaux de Max Weber qui l’envisage de façon structurelle. Dans Économie et société, Weber appréhende la domination en tant que phénomène structurel, consistant dans une capacité à commander et à définir le champ d’exercice de l’autorité sur le fondement de quelques principes essentiels (ici)
Une asymétrie s’instaure alors entre l’agir des uns et celui des autres. La domination institue ce faisant un ensemble d’attentes, émanant d’un ou de plusieurs acteurs, concernant le comportement probable d’autres acteurs. Les uns et les autres agissent en référence à un sens et à une norme.
En particulier, les allocations de « chances" résultant du degré et des modalités selon lesquelles un individu peut disposer de biens ou de services afin de se procurer des rentes ou des revenus » (Weber, 1922, I, 1) Max Weber distingue les notions de « classes » et de « classes sociales ». La première renvoie à deux types de classes : les « classes de possession » et les « classes de production ». Les classes de possession sont au nombre de trois : les classes de possession « positivement privilégiées », « négativement privilégiées » et « moyennes ». Weber précise que les classes de possession privilégiées se caractérisent par « l’accaparement des biens de consommation d’un prix élevé », « les chances d’édifier une fortune à partir de surplus inemployés », « une situation de monopole ». Les « rentiers » et « prêteurs d’argent » sont des exemples d’individus appartenant aux classes de possession (ici).
Dans leur analyse de la direction des grandes entreprises, Bauer et Cohen distinguent les dirigeants possédants (e.g. Bolloré) et le pouvoir dirigeant affranchi. Ces auteurs montrent la pertinence de l’analyse wébérienne qui distingue la possession des moyens de production de leur direction. : la possession du capital d’une grande entreprise, qui définit l’appartenance aux classes de possession privilégiées, doit être conceptuellement dissociée des dirigeants de l’entreprise peu ou non actionnaires, qui maîtrisent cependant les orientations stratégiques et la politique de recrutement des élites dirigeantes lorsque le pouvoir des actionnaires est dispersé (ici).
Pierre Bourdieu de son coté s’est attaché à décrire les rapports de domination qui s’exercent entre les individus dans tous les domaines de la société. Selon sa théorie, les dominants (groupes sociaux, ethnies, sexes) imposent leurs valeurs aux dominés qui, en les intériorisant, deviennent les artisans de leur propre domination. C’est à partir de cette grille de lecture qu’il analyse les ressorts de la domination masculine. Comment expliquer la pérennité de la « vision androcentrique » qui continue de régir les rapports entre les sexes dans nos sociétés ? C’est, pour P. Bourdieu, parce que les structures de domination sont « le produit d’un travail incessant de reproduction auquel contribuent les différents agents : les hommes (avec des armes comme la violence physique et la violence symbolique), les femmes victimes inconscientes de leurs habitus et les institutions : famille, Église, école, État » (ici).
A noter, que les femmes peuvent être aussi compétitives que les hommes, toutefois les aspects sociaux en jeu les motivent plus que les hommes. Cette étude apporte "la preuve" que les femmes participent aux compétitions au même rythme que les hommes lorsque l'incitation à gagner inclut la possibilité de partager une partie des récompenses avec les perdants (ici).
La prédation dans le champs du droit
Michel Serres avait remarqué que tout ce qui n'est pas le genre humain est exclu de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. D'où son idée de poser le principe d'un nouveau droit, non exclusivement réservé à l'espèce humaine. Pas de droit de la nature, dit-il, sans un « contrat naturel ». La nature, affirmait-il, doit devenir un sujet de droit.
Le mal fondamental auquel il faut porter remède n’est rien d’autre (et rien de moins) qu’une attitude humaine générale, un système qui autorise les humains à considérer les animaux comme étant leurs ressources, à leur disposition, nés pour leur usage. Les animaux, en tant que « sujets d’une vie » et « patients moraux », ont des droits, et les êtres humains ont des devoirs envers eux. Telle est la thèse révolutionnaire de la somme philosophique publiée aux États-Unis par Tom Regan (ici).
Dans "Laissons la lionne tuer la gazelle : Droits des animaux, prédation, devoir d’assistance et défense d’un tiers" Bertrand Cassegrain nous invite a réfléchir à la situation suivante : Lors d’un safari, vous apercevez une lionne sur le point d’attaquer une gazelle. Or, vous êtes un partisan des droits des animaux. La gazelle a le droit de vivre, donc vous estimez devoir la sauver des griffes du félin. Toutefois, sauver la gazelle signifie violer le droit de la lionne de subvenir à ses besoins (ici).
Pour poursuivre la réflexion il nous propose une autre situation : Je suis en montagne. En face de moi, un peu plus loin, se trouve un homme. Au-dessus de lui se trouve une femme. J’aperçois soudain qu’elle pousse un rocher, de manière à ce qu’il s’écrase sur la tête de l’homme et le tue. La femme en question est un agent moral. Elle commet donc une injustice. De ce fait, je me dois d’avertir l’homme qu’un rocher est en train de lui tomber dessus.
Il conclue qu’il ne faut pas empêcher la prédation chez les animaux sauvages, c’est-à-dire chez les animaux qui ne sont pas apprivoisés, qui n’ont pas été sélectionnés d’une manière ou d’une autre par l’être humain et qui ne vivent pas au sein d’un élevage.
Ce qu'il justifie par le postulat que nous être humains adhérons à une théorie des droits, c’est-à-dire à l’idée que certaines entités sont dotées de droits, et qu’il y a des choses que nous n’avons pas le droit de faire à ces entités, quelles qu’en soient les conséquences. Mais que le monde sauvage des animaux n'est pas régit par les mêmes règles.
En effet, la nature, comme le rappelle le professeur Untermaier « est une réalité mouvante, dont seules les limites extrêmes sont connues ». Le concept évoque en substance « l’ensemble des êtres et des choses composant le monde physique (les règnes minéral, animal et végétal) dans une organisation (paysage, site, écosystème) qui échappe à l’influence humaine ».
Cette conception d’une nature sauvage, bien que prédominante dans l’imaginaire collectif, revêt un caractère illusoire, car la plupart des paysages d’aujourd’hui ont été modelés par l’homme au cours de l’histoire. Cela conduit le professeur Untermaier à définir le cadre naturel comme « celui qui, malgré tout, évoque une continuité où rien ne serait apparemment changé si, l’espace d’un instant, on effaçait mentalement la présence humaine » (ici).
Ce qui échappe à Bertrand Cassegrain c'est que la lionne et la gazelle sont dans une réserve naturelle et qu'il convient de prendre en compte l'emprise des humains sur la nature dans le champ du droit pour analyser les droits et devoirs des humains et des animaux.
L’emprise qualifie une mainmise de l’administration sur une propriété privée, l’action de prendre des terrains par expropriation. Dans son sens le plus courant, classiquement adoptée en psychologie, elle renvoie à une domination intellectuelle, affective et physique.
Ainsi la relation d'emprise que nous avons sur la nature (qui fut un jour sauvage) nous donne le devoir la sauver la gazelle des griffes du félin parce que nous subvenons à leurs besoins.
Lorsque l’on parle d’emprise, on parle de relation d’emprise. Ce qui suppose deux parties prenantes et un lien particulier et spécifique basée sur une relation de pouvoir qui s’exerce de façon abusive. La construction dialectique de la relation maître/esclave a besoin de cette médiation fondamentale qu’est la reconnaissance. C’est par la reconnaissance de l’esclave que se fait la place du maître.
"Ce modèle peut nous aider à penser l’emprise, c’est-à-dire l’instrumentalisation de l’autre et l’impossibilité pour celui-ci de rompre la relation dans laquelle il donne plus qu’il ne prend. Rompre la relation est de l’ordre de l’injustifiable et supposerait un passage en force, un acte de rébellion ou de violence". Mariette STRUB DELAIN (ici).
La prédation éclairée par les neurosciences
Les travaux des scientifiques du comportement comme Jacques Fradin, Président chez GIEC du Comportement, le GIECO IPBC, portant sur la dominance et la soumission suggèrent que les rapports de prédation peuvent constituer un obstacle majeur à toute forme d'adaptation durable, complexe et coordonnée de la société en elle même et dans son interaction avec son environnement (ici et dans le document ci dessous).
En effet, la dominance constitue un problème dans la gestion collective des situations de crise en raison de sa propension au conflit. Par exemple : la difficulté de l’individu prédateur à faire des excuses visant à atténuer les conflits entre groupes (dans le sens où parce que cela mettrait en péril, à ses yeux, sa position de dominant) participe au déclenchement des conflits.
Il en va de même pour la volonté du dominant de préserver sa position privilégiée, et donc les rapports de force qui la sous-tendent, l'incitant à anéantir toute forme de pensée ou de structuration sociétale plus adaptée aux enjeux collectifs (Fradin et al, 2014 ; Kleppesto et al. 2019)
Ce dernier point désamorce l'illusion d'un caractère adaptatif qui pourrait être attribué à la dominance (au stade où en est l’évolution de notre espèce aujourd’hui, s’entend).
En effet, tout comportement s’inscrivant dans une dynamique adaptative et complexe, et donc dans une forme élaborée d'intelligence, est discrédité par le dominant car il a tendance à l'interpréter comme une menace. Cette menace réside, aux yeux du dominant, dans le fait qu'un individu se réappropriant ses capacités de réflexion peut entrevoir comment il est abusé par le dominant, et se défendre en conséquence.
Ainsi, la dominance génère des conflits du type "diviser pour mieux régner", en imposant une omerta de manière à priver ses interlocuteurs de toute forme de concertation. Le dominant protège impulsivement ses privilèges et les rapports de force dont il peine à s’affranchir, même s'il doit en pâtir à long terme.
Deux dimensions comportementales et cognitives peuvent entraver ou favoriser l'adaptation, individuellement ou collectivement.
- la première dimension concerne plus spécifiquement les mécanismes dits d'adaptation, et s'oppose à nos habitudes.
- la seconde concerne le concept de positionnement grégaire, qui implique des relations de pouvoir entre individus et entre groupes
L'effet Einstellung (Luchins et al., 1959) illustre comment, face à un problème, les gens peuvent avoir tendance à favoriser l'application d'une stratégie connue et contrôlée au nom de l'économie cognitive à court terme. En effet, il semble à première vue moins coûteux de penser moins et de s'adapter moins... même si cela peut nous coûter beaucoup plus cher à long terme !
Il existe de nombreux travaux qui montrent diverses façons de stimuler nos capacités d'adaptation. Fradin et ses collaborateurs (2008 ; Lefrançois, 2009) ont identifié que les individus qui se sentent concernés par des intérêts autres que ceux liés à leur personne ont une plus grande capacité à considérer les conséquences à long, voire très long terme de leurs actions, et acceptent plus facilement les efforts nécessaires à une transition.
Jacques Fradin a mit en évidence que la stressabilité est étroitement corrélée au recrutement inapproprié du mode mental automatique en situation difficile, de non-contrôle, d'échec. Autrement dit, le stress semble survenir lorsque (par phénomène dit de persévération, d'accrochage ?) le mode automatique ne laisse pas sa place au mode préfrontal adaptatif en situation nouvelle et/ou complexe, alors que ce dernier est structurellement mieux placé pour la gérer (ici).
Nous disposons d’un premier mode de traitement des informations appelé « mode mental automatique », qui gère le simple, le connu, le maîtrisé, et d’un second appelé « mode mental adaptatif », qui lui gère la complexité, l’incertain, l’inconnu et le non maîtrisé. Mais la plupart du temps, dans notre quotidien personnel ou professionnel, notre cerveau fonctionne selon le mode automatique, qui le plus économique en énergie. Nous sommes, en quelque sorte, en « pilote automatique ». Ce pilote décode et réagit soit de façon instinctive (ex. : nos instincts de survie), soit de façon grégaire (ex. : notre rapport spontané aux autres), soit de façon émotionnelle (ex. : nos motivations, valeurs, intolérances, complexes…). Dans le premier cas, on parle de « gouvernance instinctive », dans le second, de « gouvernance grégaire » et, dans le troisième, de « gouvernance émotionnelle ». (ici)
Le but de la gouvernance instinctive est d’assurer notre survie individuelle en satisfaisant nos besoins fondamentaux (manger, dormir, se reproduire…) et en nous protégeant des dangers immédiats par des réactions instinctives de stress : la fuite (état d’anxiété), la lutte (état de colère) et l’inhibition (état d’abattement), ainsi que l’a montré le professeur Henri LABORIT, célèbre neurobiologiste. Quand nos besoins sont satisfaits et que nous ne sommes pas en danger, cette gouvernance procure un ressenti de calme (état d’activation de l’action).
Les personnes qui ont tendance à réagir en stress de fuite ont peur d’être agressées en étant enfermées, elles privilégient les comportements leur permettant soit d’éviter le danger soit de s’échapper face à ce qu’elle perçoive comme une agression potentielle. Les personnes qui ont tendance à réagir en stress de lutte considèrent « instinctivement » que la meilleure défense, c’est l’attaque : elles privilégient l’attaque de ce qu’elles perçoivent comme un danger. Elles adoptent un comportement d’« agressivité défensive ».
La gouvernance grégaire est la gouvernance qui vise à assurer la survie de chacun au sein du groupe. L’être humain n’est pas un être solitaire. Pour survivre, il a besoin de s’insérer dans un groupe (tribu, organisation, société…) et d’y trouver « sa » place, qui lui procure stabilité et protection.
Le Positionnement Grégaire (PG) peut être défini comme l’ensemble des comportements relatifs à la confiance irrationnelle et spontanée en soi ou en l’autre, et au rapport de force. Le comportement grégaire décrit comment les individus d'un groupe peuvent agir ensemble sans direction prédéterminée. Le terme s'applique au comportement des animaux vivant en troupeaux, ainsi qu'à celui des humains lors des manifestations, émeutes, grèves, files d'attente, événements sportifs ou religieux, ou simplement dans les processus quotidiens de prise de décision et de façonnage de l'opinion (ici). On parle ainsi d’instinct grégaire pour désigner de tels regroupements d’individus dont le seul but est de réduire le stress.
Richard Lazarus (en) et Susan Folkman, 1984 : le stress est selon eux défini comme une « transaction entre la personne et l’environnement » dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme débordant ses ressources et pouvant mettre en danger son bien-être. Selon eux, l’adaptation est « la mise en place d’efforts cognitifs et comportementaux destinés à gérer des demandes spécifiques évaluées comme étant ardues ou dépassant les capacités d’une personne » (ici).
Le grégarisme participe à la défense, à la protection du groupe ; il renforce ses chances de survie en ayant des effets favorables sur les individus, mais surtout sur ce qui fonde le groupe, par exemple, les valeurs autour desquelles chacun se reconnaît et dont la remise en cause brutale par quelques individus isolés a provoqué suffisamment d’émoi pour inciter l’immense majorité de la population.
Il peut être la manifestation d'un excès ou un défaut de confiance en soi et/ou en l’autre. Les processus et les troubles qui sont associés au PG sont plus ou moins pathogènes et apparaissent peu ou pas accessibles à la raison, voire même parfois aux thérapies cognitives et/ou comportementales classiques.
Le Positionnement Grégaire (PG) comprend quatre polarités ou profils répartis sur deux dimensions : la dimension Dominance/Soumission (PGD/PGS) et la dimension Marginalité/Intégration (PGM/PGI).
Le Positionnement Grégaire ne constitue pas un système intelligent ou évolutif au sens où il n'est pas capable d'apprendre (et donc de s'adapter à des situations complexes) : ses comportements sont très standardisés, observables indépendamment de la catégorie socioéconomique et se manifestent très tôt dans le développement de l'individu, sans mimétisme par rapport à l'entourage (Halpern et al., 2020 ; Reijntjes et al., 2016).
Le concept de PG met en lumière certaines des clés mécanistiques d'une crise de l'humanité (guerres de religion où la religion devient un alibi pour un pouvoir inféodé au système de PG, mais aussi sexisme, harcèlement scolaire et professionnel, etc.) et comment celle-ci peut être maintenue, aggravée, en raison d'un simple système archaïque de régulation grégaire.
De même, la perspective du changement climatique et des inégalités socio-économico-géographiques associées (épuisement des ressources en eau, en nourriture, en espaces de vie) peuvent apparaître comme de puissants catalyseurs de ces comportements (cf. Hendrix & Brinkman, 2013 ; Reno, 2011), qui contribueraient eux-mêmes au maintien des inégalités, à la négligence des signaux d'alerte environnementaux, etc.
En d'autres termes, certaines crises (impliquant une notion de survie, de mise en danger de la santé, d'épuisement des ressources, etc.) peuvent conduire à l'émergence de comportements, de pratiques et d'attitudes qui ne sont pas les plus adaptatives (par opposition à d'autres comportements et attitudes).
CONCLUSION
Et si venait s’opposer à la prédation... l'entraide ? C'est ce que suggère le philosophe et neurobiologiste Georges Chapouthier dans "Quand la théorie de l’évolution pose des questions morales" en rappelant les thèses développées par Kropotkine Ici
Les innombrables continuateurs de Darwin ont réduit la notion de la lutte pour l’existence à son sens le plus restreint. Ils en vinrent à concevoir le monde animal comme un monde de lutte perpétuelle entre des individus affamés, altérés de sang. Ils firent retentir la littérature moderne du cri de guerre Malheur aux vaincus, comme si c’était là le dernier mot de la biologie moderne. Ils élevèrent la « lutte sans pitié » pour des avantages personnels à la hauteur d’un principe biologique, auquel l’homme doit se soumettre aussi, sous peine de succomber dans un monde fondé sur l’extermination mutuelle.
Dans son livre L’Entraide, un facteur de l’évolution le naturaliste anarchiste russe montre que l'entraide est un facteur de l'évolution autant sinon plus important que la compétition dans l'évolution que la lutte entre membres d'une même espèce et tout en entreprenant d'appliquer cette thèse à l'histoire de l'humanité. Pour Kropotkine, il faut considérer que l’entraide augmente les chances de survie de l’espèce et substituer à la lutte entre individus pour l’existence la lutte entre espèces qui repose sur la solidarité interne à chaque espèce, et sélectionne même l’espèce qui est en mesure de faire preuve de la plus grande solidarité. Kropotkine développe sa thèse en huit chapitres, qui parcourent sur un mode descriptif l'échelle des formes de vie (invertébrés, oiseaux, mammifères) et les différentes étapes de l’histoire humaine (sauvagerie, barbarie, civilisation). L’Entraide de Kropotkine : un socialisme darwinien ? Jean-Christophe Angaut
La logique qui gouverne la progression de l’ouvrage de Kropotkine est la suivante : l’association entre individus se rencontre à tous les degrés du monde animal et devient simplement de plus en plus consciente. "Ce mouvement d’élévation de la conscience et d’élargissement de la solidarité définit l’évolution comme un progrès, que Kropotkine définit toujours par le même triptyque : plus de plénitude, plus de variété, plus d’intensité de vie. Autrement dit, l’évolution doit être considérée comme résultant d’un effort continu contre les circonstances adverses en faveur d’un développement des individus et des collectivités biologiques et sociales, les résultats de cet effort étant en quelque sorte thésaurisés par les vivants. Si l’évolution peut avoir le sens d'un progrès, c'est en tant qu'elle est une élévation du niveau de conscience" Jean-Christophe Angaut. Pour reprendre une formule d'Élisée Reclus, « l’Homme est la Nature prenant conscience d’elle même, ce qui signifie que dans l’humanité, ce qui était fait par instinct est désormais fait consciemment.
Les entraides se distinguent selon leurs propriétés. La distinction peut concerner la modalité : alors, les interrelations sont soit nécessaires (ou obligatoires), soit contingentes (facultatives). Elle peut être considérée du point de vue de la temporalité : les connexions sont alors soit temporaires, soit permanentes. Elle peut être envisagée du point de vue de l’espace, non pas en tant que milieu (de fait, la symbiose se rencontre dans tous les milieux), mais en tant que distance. En l’occurrence, l’entrelacement est soit distancé, soit fusionnel. Elle touche aussi la relation. L’entraide est soit réciproque, soit asymétrique. Elle concerne les sujets en relation, c’est-à-dire leur substance même. La mutualité peut soit respecter l’intégrité, soit l’effacer (fusionnelle). Enfin, elle concerne la finalité. Dès lors l’interaction est soit bénéfique, soit neutre, soit maléfique. En fait, comme il y a au minimum deux êtres en connexion, il faut complexifier le schéma selon une combinatoire que va désormais exposer le prochain paragraphe. ici
Plusieurs types de relations peuvent s'établir entre les individus d'une même espèce (relation intraspécifique) ou entre des individus d'espèces différentes (relation interspécifique). Elles peuvent également être classées en fonction de leur caractère instantané (prédation) ou durable (parasitisme, mutualisme, etc.), ainsi que d’après le degré d’association entre les partenaires. Lefèvre T., Renaud F., Selosse M.-A., Thomas F. Étymologiquement, le terme de symbiose désigne « la vie en commun d’organismes d’espèces distinctes ». Cette définition large désigne une coexistence durable, impliquant tout ou partie du cycle de vie des deux organismes, quels que soient les échanges entre ceux-ci. Une définition plus restrictive réserve le terme de symbiose aux coexistences durables et mutualistes.
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, ont écrit un ouvrage dans le prolongement de ces thèses L’Entraide, l'autre loi de la jungle. Alain Caillé préface ainsi leur livre :"Après les livres de Matthieu Ricard ou de Jacques Lecomte, qui avaient ouvert une première brèche, L’Entraide vient à point pour nous aider à déconstruire la croyance hégémonique selon laquelle nous ne serions que des Homo œconomicus, « mutuellement indifférents », comme le disait par exemple le philosophe star de la fin du XX e siècle, John Rawls. Rien n’est plus urgent désormais que de combattre la démesure, l’hubris, la soif de toute-puissance qu’alimente le néolibéralisme et qui conduit l’humanité à sa perte. Jusqu’ici, une des principales raisons de notre incapacité à sortir du néolibéralisme planétaire a été un certain déficit de ressources théoriques. Mais c’est aussi le manque d’une philosophie politique, largo sensu, qui nous permette d’aller au-delà des grandes idéologies de la modernité – libéralisme, socialisme, anarchisme ou communisme. C’est cette élaboration doctrinale qu’amorcent les auteurs mondialement connus qui se reconnaissent sous la bannière du convivialisme. P. Servigne (qui compte parmi eux) et G. Chapelle y contribuent de manière décisive. Un bel exemple d’entraide". https://larevolutiondusourire.net/wp-content/uploads/2019/11/L_entraide.-L_autre-loi-de-la-j-Pablo-Servigne.pdf
Une note de réflexion qui vise à croiser les regards, de Jérémy Dumont, fondateur de l'association Nous sommes Vivants et membre du groupe "le facteur humain dans le monde économique" du GIECO, le GIEC du comportement https://www.ipbc.science