Le facteur humain ne doit pas se limiter à l'analyse des causes des évènements tragiques, mais se prolonger par une compréhension profonde des mécanismes qui permettent de faire advenir des changements de comportement radicaux dans la société.
Prendre en compte la dimension spécifiquement humaine des phénomènes de crise, c'est poser le facteur humain comme "la contribution de l'humain à un évènement". Ainsi, l’Anthropocène se caractérise par l’avènement des humains comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques. C’est l’âge des humains : « La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme ». Celui d’un désordre planétaire inédit. L'espèce humaine devient le principal facteur et déclencheur de crises. Buffon (1707-1788) « Les Époques de la nature »
Dans ce cadre de pensée, le facteur humain est appréhendé comme "la défaillance coupable liée à l'inconstance de l'être humain". Parce que nous sommes des humains, nous sommes capable du meilleur comme du pire, souvent du pire : responsable d'erreurs fatales (les erreurs de pilotage, les erreurs judiciaires, ou les erreurs de programmation), principal frein à un effort collectif (plan de transformation, transitions digitales, écologiques, sociétales), voire à l'origine d'un accident et/ou d'une crise majeure (la COVID 19 en Chine, l'effondrement de la civilisation occidentale). L'attention est portée sur la maîtrise de l’événement dont l'occurence est a éviter, en se concentrant sur pourquoi il est si difficile d’engager des efforts efficaces sur le plan de la prévention des risques pour circonscrire leur occurrence Crises et facteur humain. Les nouvelles frontières mentales des crises" par Thierry Portal
Pourtant, un être humain peut faire basculer l’Histoire, du mauvais côté, lorsqu’il détourne son regard des enjeux majeurs, mais aussi du bon côté, lorsque qu’il reconnaît ce qui est précieux et se confronte aux enjeux humains et terrestres. Quand le dérèglement climatique ou la 6 ème extinction du vivant ne se traduisent pas dans des comportements radicalement plus responsables. C'est alors le putain de facteur humain comme l'explique l'astrophysicien Hubert Reeves...Mais si chacun de nous apprenait comment le transformer en un précieux facteur humain dans sa vie, alors nous pourrions peut-être changer le cours de l’histoire.
Will SCHUTZ (1925-2002) était convaincu que le potentiel humain inexploité peut être à l’origine d’accomplissements potentiels extraordinaires, que la compréhension par chacun du facteur humain est le socle de la réussite partout où des femmes et des hommes travaillent réfléchissent et font progresser des idées communes. En travaillant sur la connaissance de soi et des autres pour renforcer la performance des collaborateurs pour la Navy, il a réussit à constituer des équipes productives 75% du temps, soit une augmentation de 50 % par rapport au taux de départ. The Human Element: Productivity, Self-Esteem, and the Bottom Line de Will Schutz
En psychologie, le facteur humain concerne "les mécanismes qui existent entre ce qui est perçu par l'humain et les réactions conscientes ou inconscientes qui en découlent". Et si la cause profonde de l'inaction c'était la méconnaissance de notre fonctionnement en tant qu'être humains, à l'origine de notre incapacité à changer de fonctionnement, à nous orienter vers des changements de comportement radicaux.
90 % de notre activité est inconsciente et moins de 300 millisecondes sont nécessaires pour prendre une décision. L'inconscient a toujours le dessus sur la raison. Tel est le constat que tirent Francesca d'Amicis, Petra Höfer et Freddie Röckenhaus ici Ce qui permet de mieux comprendre les phénomène de déni liés à la difficulté de maintenir son attention dans le temps. Les travaux d’Elke Weber montrent que nous avons un quota d’inquiétudes au-delà duquel on interchange les problèmes. Nous sommes incapables de maintenir notre peur du changement climatique lorsque d’autres problèmes surviennent comme l’effondrement des marchés, une urgence personnelle, … ici
Les raisons de l'inaction sont multiples et les sciences humaines, dont les sciences cognitives font partie, savent expliquer les bascules cognitives, émotionnelles et comportementales à l'oeuvre comme les résistances individuelles mais aussi collectives voire culturelles au changement de comportement. Il y a cette résistance pour les humains à regarder les choses en face : comme disait Chirac : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs". Et pour agir, il ne suffit pas d’échafauder mentalement un projet, d’avoir une idée ou une représentation de ses actes. Encore faut-il être motivé à agir. Et la motivation, loin d’être le seul fruit de nos facultés rationnelles, s’avère intimement liée à l’émotion.
Il nous reste donc à faire le pari de l'humain, humain et pleinement humain, donc imprévisible. Le psychologue Daniel Kahnemann, lauréat du prix Nobel de l’économie, a montré que les humains n’agissaient souvent pas de façon rationnelle, mais étaient plutôt victimes de biais cognitifs ici Selon Damasio, nos actions sont la plupart du temps guidées par nos émotions, des émotions sont nécessaires à la prise de décision. Si nous pouvons parfois avoir l'intuition que nous avons pris la mauvaise décision : c’est que cette décision est issue de nos émotions et qu’elle n’est pas le produit de notre seule réflexion. "L'émotion et la prise de décision" Par Delphine van Hoorebeke
Un pari a relever collectivement : le collectif n’est pas toujours enclin à bousculer ses manières d’être et de faire, ce qui ne nous incite pas mutuellement à changer. Les chercheurs soumettent une idée : et si les informations, spécialement celles qui concernent l’environnement, étaient d’abord acquises et considérées à plusieurs? Lorsque vous dîtes aux participants d’un groupe qu’ils doivent attribuer des labels écolos à des produits, 35% des participants seulement se sentent concernés. Mais si vous expliquez qu’ils font tous partie de l’équipe «label écolo», la participation du groupe passe de 35 à 50%. Et à 75% quand vous les asseyez autour d’une table… L'apprentissage collectif, un levier à explorer ici
Heureusement, les travaux sur le facteur humain ont permis au fil des années de valider des méthodes qui s'appuient sur la psychologie du changement appliquée à des comportements addictifs pour révéler à chacun les bascules comportementales inconscientes et pour renforcer la motivation de façon consciente. Dépasser le déni en prenant la mesure des enjeux planétaires n'est qu'une des étapes vers l'adoption de nouvelles habitudes de même que le passage à l'action demande un suivi du vécu pour que ces habitudes perdurent dans le temps malgré les tentations et parfois le manque de soutien social à l'origine des rechutes. Le modèle transthéorique développé par Prochaska et DiClemente identifie 5 étapes pour tout changement comportemental durable. Le vrai enjeu étant la prise de conscience de notre fonctionnement en temps qu'êtres humains
D'après le philosophe Patrick Viveret, il y a une vraie marge de progression pour l’humanité qui est sa propre humanisation. L’humanité est encore dans l’enfance. Que sont 200 000 ans par rapport à d’autres espèces? À certains égards, l’humanité risque de mourir dans l’enfance, d’en finir avec son existence dans l’univers, mais elle peut aussi grandir en humanité, franchir un saut qualitatif dans la voie de sa pleine humanisation. Un champ immense de l’ordre de la conscience s’ouvre devant elle. Une conscience qui n’est pas simplement une conscience mentale, mais aussi une conscience sensible, émotionnelle. Et cela, c’est l’humanité qui devient plus adulte, ce qu’on peut appeler le projet de pleine humanité, qui s’oppose bien évidemment aux situations de sous-humanité, le droit à vivre une vie pleinement humaine et à ne pas être condamnés par exemple à une simple lutte pour la survie. Stratégies de transition vers le bien vivre face aux démesures dominantes. Patrick Viveret
C'est en se connaissant, en cherchant en lui-même, que l'humanité peut évoluer. Chez Socrate, la philosophie ne désigne pas l'acquisition d'un savoir, mais une manière de s'interroger, de se mettre en question, une forme de souci de soi dans sa relation aux autres.
C'est ce que permet la fresque du facteur humain : un temps de réflexion sur les facteurs humains qui limitent notre capacité à changer et finalement notre capacité à agir dans notre quotidien, dans une organisation et sur le monde : les émotions, les biais, les habitudes, l'apprentissage...
Nous organisons des ateliers de la fresque du facteur humain portant sur les changements de comportements favorisant la biodiversité. Voici la liste des sessions découverte gratuites animées par Jérémy Dumont et Brigitte Goglione https://www.levidepoches.fr/lesupercollectif/2022/09/fresque-du-facteur-humain-les-changements-de-comportement-favorisant-la-mobilisation-des-acteurs-de-.html
NOUS SOMMES VIVANTS, LE COLLECTIF DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE #NOUSSOMMESVIVANTS