Les préoccupations immédiates de tous les peuples et de leurs dirigeants politiques se focalisent sur la lutte contre la pandémie de Covid-19 et sur les défis que représentent les services de santé en surchauffe. D’autres enjeux comme la lutte contre les inégalités notamment raciales et la transition juste des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables accaparent les esprits. Ce sont là des questions d’une importance capitale. Mais chacun ressent confusément qu’il y a un hic : même si nos gouvernants parvenaient par miracle à apporter des solutions rapides et tangibles, ces initiatives seraient encore totalement insuffisantes pour résoudre la menace existentielle de l’effondrement du climat et de la dévastation des systèmes de survie de notre planète. En effet, les multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement sont les symptômes d’un problème beaucoup plus profond : celui de la structure sous-jacente d’un système économique et politique mondial qui conduit la civilisation vers le précipice.
Prenez un moment pour regarder au-delà des crises quotidiennes qui captent notre attention, et vous vous rendrez vite compte que l’ampleur de la catastrophe qui se profile fait que nos luttes politiques actuelles, en comparaison, ressemblent à une dispute sur la façon d’empiler des chaises longues sur le Titanic. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés est bien pire que la plupart des gens ne le pensent. Les engagements collectifs sur les émissions de gaz à effet de serre de l’Accord de Paris sont malheureusement insuffisants. Ils conduiraient à une dangereuse augmentation de la température de plus de 2 degrés Celsius au cours de ce siècle – et de nombreux pays ne parviennent même pas à atteindre ces objectifs. Nous nous approchons rapidement – si nous n’avons pas déjà passé les points de basculement climatiques – de boucles de rétroaction renforcées qui conduiraient à un monde méconnaissable et terrifiant.
Mais même si la crise climatique était maîtrisée d’une manière ou d’une autre, notre paradigme économique actuel, axé sur la croissance, nous confrontera à une multitude d’autres menaces existentielles dans les décennies à venir. Tant que les politiques gouvernementales mettront l’accent sur la croissance du produit intérieur brut et que les sociétés transnationales rechercheront sans relâche des rendements pour leurs actionnaires, nous continuerons à accélérer vers une catastrophe mondiale.
Nous décimons rapidement les forêts, les animaux, les insectes, les poissons, l’eau douce et même la terre végétale dont nous avons besoin pour faire pousser nos cultures. Nous avons déjà franchi quatre des neuf frontières planétaires qui définissent l’espace habitable de l’humanité, et pourtant le PIB mondial devrait tripler d’ici 2060, avec des conséquences potentiellement désastreuses. En 2017, plus de 15 000 scientifiques de 184 pays ont lancé un sinistre avertissement à l’humanité, lui indiquant que le temps presse : « Bientôt, il sera trop tard », avaient-ils écrit.
Nous devons forger une nouvelle ère pour l’humanité, une ère qui se définit par une transformation de la façon dont nous donnons un sens au monde et en même temps, par une révolution de nos valeurs, de nos objectifs et de notre comportement collectif. En bref, nous devons changer les bases de notre civilisation mondiale. Nous devons passer d’une civilisation basée sur l’accumulation des richesses à une civilisation qui affirme la vie : une civilisation écologique.
Une civilisation qui affirme la vie.Sans perturbation humaine, les écosystèmes peuvent prospérer en abondance pendant des millions d’années, tout en restant résistants face à l’adversité. Il est clair qu’il y a beaucoup à apprendre de la sagesse de la nature sur la façon de s’organiser. Pouvons-nous le faire avant qu’il ne soit trop tard ?C’est l’idée fondamentale qui sous-tend une civilisation écologique : utiliser les principes de conception propres à la nature pour réimaginer les bases de notre civilisation. Changer le système d’exploitation de notre civilisation pour en faire un système qui mène naturellement à des politiques et des pratiques qui affirment la vie plutôt qu’à une extraction et une dévastation effrénée.
Une civilisation écologique est une idée à la fois nouvelle et ancienne. Si l’idée de structurer la société humaine sur une base écologique peut sembler radicale, les peuples indigènes du monde entier se sont organisés depuis des temps immémoriaux sur des principes d’affirmation de la vie. Lorsque les communautés Lakota, sur les terres qui constituent aujourd’hui les États-Unis, invoquent Mitakuye Oyasin (« Nous sommes tous apparentés ») lors de leurs cérémonies, elles ne se réfèrent pas seulement à elles-mêmes, mais à tous les êtres sensibles. Les traditions bouddhistes, taoïstes et nombre de courants philosophiques et religieux ont fondé une grande partie de leur sagesse spirituelle sur la reconnaissance de l’interconnexion profonde de toutes choses. Et à l’époque moderne, un fil conducteur reliant les mouvements progressistes dans le monde entier se tisse sur l’engagement en faveur d’une société qui travaille pour l’épanouissement de la vie, plutôt que contre elle.
Six règles fondamentales devraient être respectées pour que les humains se remettent en harmonie avec le monde naturel :
1- Diversité
Il existe une formule secrète cachée au plus profond de l’intelligence de la nature, qui a catalysé chacun des grands sauts évolutifs de la vie sur des milliards d’années et constitue la base de tous les écosystèmes. Elle est forgée dans le concept simple mais profond de symbiose mutuellement bénéfique : une relation entre deux parties dans laquelle chacune contribue à quelque chose qui manque à l’autre, les deux parties en tirant profit. Dans une telle symbiose, il n’y a pas de jeu à somme nulle : les contributions de chaque partie créent un tout qui est plus grand que la somme de ses parties.
Décrypter les principes de conception de la nature.Chaque fois que vous vous promenez dans les bois, que vous prenez un repas ou que vous plongez dans l’océan, vous vivez le miracle de la symbiose de la nature. Les plantes transforment la lumière du soleil en énergie chimique qui fournit de la nourriture à d’autres créatures, dont les déchets fertilisent ensuite le sol dont les plantes dépendent. Les réseaux fongiques souterrains apportent aux arbres des produits chimiques essentiels en échange de nutriments qu’ils ne peuvent pas fabriquer eux-mêmes. Les pollinisateurs fertilisent les plantes, qui produisent des fruits et des graines qui nourrissent les animaux lorsqu’ils les transportent vers de nouveaux endroits. Dans votre propre intestin, des milliards de bactéries reçoivent des nutriments provenant de la nourriture que vous dégustez, tout en produisant en retour les enzymes nécessaires à la digestion.Dans la société humaine, la symbiose se traduit par des principes fondamentaux d’équité et de justice, garantissant que les efforts et les compétences que les gens apportent à la société sont récompensés équitablement. Dans une civilisation écologique, les relations entre travailleurs et employeurs, producteurs et consommateurs, humains et animaux, seraient donc basées sur la valorisation de chaque partie plutôt que sur l’exploitation de l’une par l’autre.
Grâce à la symbiose, les écosystèmes peuvent se maintenir presque indéfiniment. L’énergie du soleil circule sans interruption vers toutes les parties constituantes du vivant. Les déchets d’un organisme deviennent la nourriture d’un autre. La nature produit un flux continu où rien n’est gaspillé. De même, une civilisation écologique, à l’inverse de notre société actuelle fondée sur l’extraction des ressources et l’accumulation des déchets, activerait une économie circulaire avec une réutilisation efficace des déchets, intégrée dès le départ dans les processus.
La nature utilise un dessin fractal avec des motifs similaires se répétant à différentes échelles. Les fractales sont partout dans la nature — vous les voyez dans les motifs des branches d’arbres, des côtes maritimes, des formations nuageuses et du système bronchique de nos poumons. Les écologies sont elles-mêmes fractales, avec les principes fondamentaux de comportement auto-organisé qui perpétuent la vie partagée par des cellules microscopiques, des organismes, des espèces, des écosystèmes et la Terre vivante tout entière. Cette forme d’organisation est connue sous le nom d’holarchie, dans laquelle chaque élément est une entité cohérente à part entière, tout en faisant partie intégrante de quelque chose de plus grand. Dans une holarchie, la santé du système dans son ensemble exige l’épanouissement de chaque partie. Chaque système vivant est interdépendant de la vitalité de tous les autres systèmes.
2-Équilibre
Chaque partie d’un système est dans une relation harmonieuse avec l’ensemble du système. Lorsque ce principe d’écologie naturelle est appliqué à la société humaine, nous le considérons comme une compétition et une coopération en équilibre, et le résultat d’une répartition équitable de la richesse et du pouvoir. Sur la base de ce précepte crucial, une civilisation écologique serait conçue sur le principe fondamental de l’épanouissement fractal : le bien-être de chaque personne est fractalement lié à la santé du monde entier. La santé individuelle dépend de la santé de la société, qui dépend à son tour de la santé de l’écosystème dans lequel elle s’inscrit. Un tel équilibre favoriserait la dignité individuelle, en fournissant les conditions permettant à chacun de vivre en sécurité et de s’autodéterminer, avec un accès universel à un logement adéquat, à des soins de santé efficaces et à une éducation de qualité.
Dans la conception fractale d’un écosystème, la santé ne naît pas de l’homogénéité, mais du fait que chaque organisme contribue à l’ensemble en réalisant son propre potentiel unique. En conséquence, une civilisation écologique célébrerait la diversité, en reconnaissant que sa santé globale dépend de différents groupes – définis par l’ethnie, le sexe ou toute autre délimitation – qui développent leurs propres dons particuliers, le plus largement possible.
Dans une écologie naturelle, le type de croissance exponentielle qui caractérise notre économie mondiale ne pourrait se produire que si d’autres variables étaient déséquilibrées, et conduirait inévitablement à l’effondrement catastrophique de cette population. Le principe d’équilibre serait donc crucial pour une civilisation écologique. La concurrence serait équilibrée par la collaboration ; les disparités de revenus et de richesses resteraient dans des fourchettes beaucoup plus étroites, et refléteraient équitablement les contributions des gens à la société. Et surtout, la croissance ne serait plus qu’un élément du cycle de vie naturel, se ralentissant une fois qu’elle aurait atteint ses limites saines ; ce qui conduirait à une économie stable et autonome conçue pour le bien-être plutôt que pour la consommation.
Par-dessus tout, une civilisation écologique serait fondée sur la symbiose globale entre la société humaine et le monde naturel. L’activité humaine serait organisée, non seulement pour éviter de nuire à la Terre vivante, mais aussi pour la régénérer activement et maintenir sa santé.
Une civilisation écologique en pratique.L’objectif primordial d’une civilisation écologique serait de créer les conditions permettant à tous les humains de s’épanouir dans le cadre d’une Terre vivante et prospère. Actuellement, le succès des dirigeants politiques est évalué en grande partie par l’augmentation du PIB de leur pays, qui ne fait que mesurer le rythme auquel la société transforme la nature et les activités humaines en économie monétaire, indépendamment de la qualité de vie qui en découle. Une société qui affirme la vie mettrait plutôt l’accent sur la croissance du bien-être, en utilisant des mesures telles que l’indicateur de progrès véritable, qui tient compte de composantes qualitatives telles que le bénévolat et le travail ménager, la pollution et la criminalité.Depuis plus d’un siècle, la plupart des penseurs économiques n’ont reconnu que deux domaines de l’activité économique : les marchés et le gouvernement. Le grand fossé politique entre le capitalisme et le communisme a été structuré en conséquence, et même aujourd’hui, le débat se poursuit dans le même sens. Une civilisation écologique intégrerait les dépenses publiques et les marchés, mais — comme l’a exposé l’économiste visionnaire Kate Raworth — elle ajouterait deux domaines essentiels à ce cadre : les ménages et les biens communs.
3-Organisation fractale
Le petit reflète le grand, et la santé de l’ensemble du système exige l’épanouissement de chaque partie. En particulier, les biens communs devraient devenir une partie centrale de l’activité économique. Historiquement, les biens communs se référaient aux terres partagées auxquelles les paysans accédaient pour faire paître le bétail ou cultiver. Mais plus largement, le bien commun fait référence à toute source de subsistance et de bien-être qui n’a pas encore été appropriée par l’État ou la propriété privée : l’air, l’eau, le soleil, ainsi que les créations humaines comme la langue, les traditions culturelles et les connaissances scientifiques. Il est pratiquement ignoré dans la plupart des discussions économiques car il ne s’inscrit pas dans le modèle classique de l’économie. Or le bien commun mondial appartient à chacun d’entre nous, et dans une civilisation écologique, il reprendrait sa place légitime en tant que fournisseur majeur de bien-être humain.
L’écrasante proportion de la richesse disponible pour les humains modernes est le résultat de l’ingéniosité et de l’assiduité cumulées par les générations précédentes depuis les temps les plus reculés. Cependant, en conséquence de siècles de génocide et d’esclavage, de racisme systémique, de capitalisme extractif et d’exploitation par le Nord, cette richesse est très inégalement répartie. Lorsque nous réalisons les vastes avantages des biens communs que nous ont légués nos ancêtres, ainsi que la distribution extrêmement inégale des richesses, cela transforme notre conception de la richesse et de la valeur. Contrairement à l’opinion répandue selon laquelle un entrepreneur qui devient milliardaire mérite sa richesse, la réalité est que la valeur qu’il a créée est une bagatelle comparée à l’immense banque de connaissances et de pratiques sociales antérieures — le patrimoine commun — dont il s’est emparé. Une civilisation écologique, reconnaissant cela, récompenserait équitablement l’activité entrepreneuriale, mais restreindrait sévèrement le droit de chacun à accumuler des milliards de richesse, quelles que soient ses réalisations.
À l’inverse, c’est le droit de naissance moral de chaque humain de partager la vaste richesse qui nous est conférée. Cela pourrait être réalisé efficacement par un programme de versements mensuels inconditionnels en espèces à chaque personne sur la planète, créant ainsi une base pour la dignité et la sécurité requises pour l’épanouissement collectif de la société. Cela permettrait également de commencer à répondre à l’impératif moral de remédier à l’exploitation extrême et aux injustices dont sont victimes de nombreuses communautés dans le monde entier — hier et encore aujourd’hui.
Les recherches ont montré à plusieurs reprises que de tels programmes, connus sous le nom de revenu universel de base, sont remarquablement efficaces pour améliorer la qualité de vie des communautés du monde entier, tant au Nord qu’au Sud. Les programmes font constamment état d’une réduction de la criminalité, de la mortalité infantile, de la malnutrition, de l’absentéisme scolaire, des grossesses d’adolescentes et de la consommation d’alcool, ainsi que d’une amélioration de la santé, de l’égalité des sexes, des résultats scolaires et même de l’activité entrepreneuriale. Le travail n’est pas quelque chose que les gens essaient d’éviter ; au contraire, le travail intentionnel fait partie intégrante de l’épanouissement humain. Libérés par le revenu universel de base de la nécessité quotidienne de vendre leur travail pour survivre, les gens réinvestiraient leur temps dans des secteurs cruciaux de l’économie — notamment dans les communs — qui mènent naturellement à une activité affirmant la vie.
Les sociétés transnationales qui dominent actuellement tous les aspects de la société mondiale seraient fondamentalement réorganisées, et rendues responsables devant les communautés qu’elles sont censées servir. Les entreprises dépassant une certaine taille ne seraient autorisées à fonctionner qu’avec des chartes qui les obligeraient à optimiser le bien-être social et environnemental au même titre que le rendement pour les actionnaires. Actuellement, ces chartes de triple bilan sont volontaires, et très peu de grandes entreprises les adoptent. Cependant, si elles étaient obligatoires — et strictement appliquées par des panels de citoyens comprenant des représentants des communautés et des écosystèmes couverts par le champ d’activité de l’entreprise — cela transformerait immédiatement le caractère intrinsèque des entreprises, les amenant à travailler pour le bénéfice de l’humanité et de la Terre vivante plutôt que pour leur disparition.
Au lieu des vastes monocultures homogénéisées de l’agriculture industrielle, les aliments seraient cultivés selon les principes de l’agriculture régénérative, ce qui entraînerait une plus grande biodiversité des cultures, une meilleure utilisation de l’eau et du carbone, et la quasi-élimination des engrais synthétiques. La fabrication serait structurée autour de flux de matériaux circulaires, et les coopératives locales deviendraient la structure organisationnelle par défaut. L’innovation technologique serait toujours encouragée, mais serait appréciée pour son efficacité à renforcer la symbiose entre les personnes et avec les systèmes vivants, plutôt que d’engendrer des milliardaires.
4-Cycles de vie
Les villes seraient redessinées selon des principes écologiques, avec des jardins communautaires sur chaque parcelle de terrain disponible, des services essentiels à moins de 20 minutes de marche et des voitures interdites dans les centres-villes. La communauté locale serait la pierre angulaire de la société, l’interaction en face à face redevenant un élément essentiel de l’épanouissement humain. L’éducation serait repensée, son objectif passant de la préparation des étudiants au marché de l’entreprise, à la culture du discernement et de la maturité émotionnelle nécessaires à l’accomplissement du but de leur vie en tant que membres appréciés de la société.
La vie des communautés locales serait enrichie par la portée mondiale d’Internet. Les réseaux en ligne à grande échelle, comme Facebook, seraient remis aux mains des citoyens, de sorte qu’au lieu de manipuler les utilisateurs pour maximiser les profits publicitaires, Internet pourrait devenir un véhicule permettant à l’humanité de développer une conscience planétaire. Le cosmopolitisme – un concept grec ancien signifiant « être un citoyen du monde » — serait la caractéristique déterminante d’une identité mondiale. Il célébrerait la diversité entre les cultures tout en reconnaissant la profonde interdépendance qui lie tous les peuples en une seule communauté morale ayant un destin commun.
La gouvernance serait transformée, les décisions locales, régionales et mondiales étant prises aux niveaux où leurs effets se font le plus sentir (c’est ce qu’on appelle la subsidiarité). Alors qu’une grande partie des décisions serait dévolue aux niveaux inférieurs, une gouvernance mondiale plus forte ferait respecter les règles relatives aux défis planétaires tels que l’urgence climatique et la sixième grande extinction. Une déclaration des droits de la nature, reconnaissant les droits inaliénables des écosystèmes et des entités naturelles à persister et à prospérer, mettrait le monde naturel sur le même pied juridique que l’humanité, avec une identité propre donnée aux écosystèmes et aux mammifères à haut rendement, et le crime d’écocide poursuivi par un tribunal à compétence mondiale.
Oser rendre cela possible.Il suffit de jeter un coup d’œil aux titres quotidiens pour se rendre compte à quel point nous sommes loin de cette vision d’une société qui favorise l’épanouissement des fractales. Pourtant, tout comme le réseau fongique souterrain qui nourrit les arbres dans une forêt, d’innombrables organisations pionnières dans le monde entier sont déjà en train de jeter les bases de pratiquement toutes les composantes d’une civilisation qui affirme la vie.Aux États-Unis, la visionnaire Climate Justice Alliance a établi des lignes directrices pour une transition juste d’une économie extractive vers une économie régénératrice, qui associe les principes fondamentaux de la démocratie au bien-être écologique et sociétal. Réseau de plus de 70 mouvements agissant en première ligne, l’Alliance travaille collectivement pour une transition juste vers la souveraineté alimentaire, la démocratie énergétique et la régénération écologique.
5-Subsidiarité
En Bolivie et en Équateur, les principes écologiques traditionnels du buen vivir et du sumak kawsay (« bien vivre ») sont inscrits dans les constitutions. Bien que les mécanismes d’application doivent encore être considérablement renforcés, ces principes constituent une puissante alternative aux pratiques extractives, offrant une plateforme juridique et éthique pour une législation basée sur l’harmonie — à la fois avec la nature et entre les humains.
En Europe, des coopératives florissantes à grande échelle, telles que la coopérative Mondragón en Espagne, démontrent qu’il est possible pour les entreprises de prospérer sans utiliser un modèle de profit basé sur l’actionnariat. Avec une centaine d’entreprises et 80 000 travailleurs propriétaires produisant une large gamme de biens industriels et de consommation, Mondragón prouve qu’il est possible de réussir tout en maintenant une communauté de valeurs partagées, centrées sur les personnes et affirmant la vie.
Une nouvelle vision écologique du monde se répand dans les institutions culturelles et religieuses du monde entier, établissant un terrain d’entente avec l’héritage des connaissances traditionnelles indigènes. Les principes fondamentaux d’une civilisation écologique ont déjà été énoncés dans la Charte de la Terre, un cadre éthique lancé à La Haye en 2000 et approuvé par plus de 50 000 organisations et individus dans le monde entier. En 2015, le pape François a ébranlé l’establishment catholique en publiant son encyclique, Laudato Si, un chef-d’œuvre de philosophie écologique qui démontre l’interconnexion profonde de toute vie et appelle au rejet de l’éthique individualiste et néolibérale.
Les économistes, les scientifiques et les décideurs politiques, reconnaissant la faillite morale du modèle économique actuel, mettent en commun leurs ressources pour proposer des cadres alternatifs. La Wellbeing Economy Alliance est une collaboration internationale d’acteurs du changement qui travaillent à la transformation de notre système économique en un système qui favorise le bien-être humain et écologique. De même, l’Alliance mondiale des biens communs développe une plateforme internationale pour la régénération des systèmes naturels de la Terre. Des organisations telles que le Next System Project et la Global Citizens Initiative définissent les paramètres de l’organisation politique, économique et sociale d’une civilisation écologique ; la P2P Foundation met en place une infrastructure commune pour le changement sociétal. Dans le monde entier, un mouvement international de villes en transition transforme les communautés de la base vers le haut, en nourrissant une culture de bienveillance, en réimaginant les moyens de répondre aux besoins locaux et en proposant des solutions de crowdsourcing.
Plus important encore, un mouvement populaire en faveur d’un changement qui affirme la vie se répand dans le monde entier. Menés par de jeunes militants pour le climat comme Greta Thunberg, Vanessa Nakate, Mari Copeny, Xiye Bastida, Isra Hirsi et d’autres, des millions d’écoliers du monde entier sortent la génération de leurs parents de son sommeil. Un mois après que les manifestants d’Extinction Rebellion aient bloqué le centre de Londres en 2019, le Parlement britannique a annoncé une « urgence climatique », qui a maintenant été déclarée par près de 2 000 juridictions locales et nationales dans le monde, représentant plus de 12 % de la population mondiale. Pendant ce temps, les campagnes « Stop Ecocide » ou « Notre affaire à tous », qui visent à faire de l’écocide un crime passible de poursuites en vertu du droit international, fait des progrès importants, et est sérieusement envisagée au niveau parlementaire en France et en Suède, avec un groupe d’experts juridiques convoqués pour rédiger sa définition.
6-Symbiose
Lorsque l’on considère l’immensité de la transformation nécessaire, les chances de parvenir à une civilisation écologique peuvent sembler décourageantes, mais elles sont loin d’être impossibles. Alors que notre civilisation actuelle commence à s’effilocher en raison de ses défaillances internes, les fils qui l’ont maintenue étroitement enroulée se relâchent également. Les catastrophes liées au climat se produisent partout, les injustices raciales et économiques deviennent encore plus flagrantes et la vie de la plupart des gens devient de plus en plus intolérable ; chaque année nous rapproche d’une catastrophe et le vieux récit perd son emprise sur la conscience collective. Des vagues de jeunes sont à la recherche d’une nouvelle vision du monde, une vision qui donne un sens au délitement actuel, une vision qui leur offre un avenir auquel ils peuvent croire.
C’est une idée audacieuse que de transformer le fondement même de notre civilisation en une vision qui affirme la vie. Mais lorsque l’alternative est impensable, la vision d’un avenir florissant fait briller une lumière d’espoir qui peut devenir une réalité qui s’épanouit. Osez l’imaginer. Osez le rendre possible par les actions que vous entreprenez, à la fois individuellement et collectivement — et cela pourrait bien se produire plus tôt que vous ne le pensez.
Jeremy Lent est l’auteur de The Patterning Instinct : A Cultural History of Humanity’s Search for Meaning. Son prochain livre, The Web of Meaning: Integrating Science and Traditional Wisdom to Find Our Place in the Universe, sera publié en juin. L’article a été publié initialement par Yes! Magazine
Cet article a été publié la première fois par UP’ Magazine le 23 mars 2021 ICI