Réveillons-nous. Nous sommes aujourd’hui face au plus grand défi de l’histoire de l’humanité, comme l’alerte avec tant de justesse Aurélien Barrau . Notre niveau de nuisance sur la biosphère est tel que notre existence même en devient menacée. L’incendie incontrôlable que nous avons déclaré se propage bien au-delà de la seule humanité, des milliards d’êtres vivants ont déjà disparu sous les feux de la modernité. Nous sommes à l’aube de la sixième extinction de masse.
Et pourtant, l’écho retentissant des alertes scientifiques sonne comme un vide en nous, là où il devrait faire résonance. L’état d’urgence dans lequel nous sommes devrait nous pousser à sortir du déni pour entrer dans une vision lucide des risques d’effondrements de nos civilisations et nous pousser à l’action.
Or nous sommes accablés de constater l'insuffisance des changements pour aller vers un monde réellement soutenable. La plupart des acteurs économiques et politiques préférant maintenir le statuquo, rendant le monde tout simplement invivable.
L’auteur et réalisateur Cyril Dion et de nombreux autres penseurs constatent que nous ne sommes pas des êtres totalement rationnels : la connaissance des risques auxquels nous sommes confrontés ne semble pas suffire pour conduire à un changement radical de société.
Aussi les réponses que nous tentons d’apporter sont trop souvent partielles ou inadéquates, et n’intègrent pas suffisamment la complexité. Ainsi sommes-nous devant la nécessité de se poser les bonnes questions pour changer nos modes de pensée et aller au-delà du solutionnisme technique, afin d’apporter des réponses ajustées. Car il ne s’agit pas simplement de problèmes techniques d’émission de gaz à effet de serre ou d’efficience énergétique. Ni même seulement d’un problème de modèle économique qui prône la croissance infinie dans un monde où expansion démographique et amoindrissement des richesses de la Terre s’entrechoquent.
Les crises planétaires que nous traversons puisent leur origine dans une source plus profonde : celle de la crise de nos relations au monde. Car c’est effectivement nos relations au monde qui induisent nos manières d’être, de penser et d’habiter l’espace ; or celles-ci s’avèrent aujourd’hui être totalement dévastatrices et insoutenables. N'ayons pas peur d’une véritable révolution, rien ne serait plus irrationnel et suicidaire que la poursuite à l’identique d’un être-au-monde, qui manifestement, nie le monde” .
Ainsi se présente à nous la nécessité de changer notre rapport au monde, et donc de renouveler nos imaginaires. Car nos relations au monde prennent avant tout racines dans nos imaginaires et nos croyances collectives. C’est l’une des facultés extraordinaires de l’être humain : pouvoir s’imaginer le monde, se le représenter symboliquement de manière virtuelle et idéelle.
Cette capacité lui permet de partager une vision commune du monde à travers le langage (par les mythes, les récits, les symboles, etc.) et de coopérer pour la transformer dans le monde réel. Les imaginaires, au départ purement fictifs, deviennent alors réels et parfois même, plus que réels. Ils façonnent les normes sociales et les systèmes de valeurs des groupes sociaux qui partagent ces mêmes imaginaires collectifs. Par ce fait, ils conditionnent nos manières d’être, de penser, de ressentir et d’agir. Or, i les imaginaires des sociétés modernes - à l’origine de nos modes de vie insoutenables - sont plus que jamais en crise.
A travers ces nouveaux récits, les acteurs du secteur public, privé ou associatif souhaitent changer nos représentations communes de l’écologie et proposer de nouvelles trajectoires pour aller vers un monde soutenable et plus harmonieux. Car ces personnes ont bien compris l’importance de rendre désirables l’écologie et la justice sociale pour qu’elles ne soient plus perçues comme contraignantes, répulsives ou inatteignables.
L’émergence de nouveaux récits sur d’autres causes comme le féminisme, la tolérance ethnique ou l’homosexualité (dans la publicité, les films, les séries, etc.) montrent qu’il est en effet possible de faire évoluer nos regards et nos comportements - notamment en véhiculant de nouvelles normes sociales et de nouvelles valeurs - et parfois même relativement rapidement.
Ainsi devient-il évident de réinventer l’imaginaire de l’écologie, son iconographie et sa symbolique, pour d’abord changer nos représentations et nos perceptions, puis ensuite pouvoir la désirer collectivement pour finalement changer nos relations au monde vivant.
Mais suffit-il vraiment de raconter de nouvelles histoires, de nouveaux récits pour changer nos modes de vie ? Dans quelles conditions ne s’agit-il pas seulement d’une mode ? Comment éviter d’en faire de simples produits de consommation et échapper à toute forme de réappropriation ou d’instrumentalisation ? Aussi ne s’agirait-il pas plutôt de remettre en question la viabilité des socles de notre imaginaire moderne ? Face aux défis auxquels nous sommes confrontés, ces seuls récits ont-ils la capacité de réinventer notre façon de penser ?