Le « facteur humain » comme contribution humaine à la croissance économique
La notion de facteur humain est apparue dans les années 50, lorsque les économistes ont cherché à mesurer la contribution humaine au développement économique en posant la notion de capital humain. Ainsi Robert Solow introduit un troisième facteur de production de richesse après le facteur travail et le facteur capital : le « résidu » ou « facteur résiduel » déterminé par le progrès technique, les connaissances scientifiques, la capacité créative des hommes…autant d’éléments « exogènes » qui améliorent l’efficacité des facteurs de production.
Ce « facteur résiduel » identifié par Robert Solow que l’on peut aussi nommer » «facteur humain» désigne la part de la croissance économique qui n’est pas expliquée par l’accroissement des facteurs de production que sont le facteur capital et le facteur travail. Il est calculé sous forme de “productivité globale des facteurs” (ou PGF) dans la formule de Cobb-Douglas. Mais le facteur humain sera progressivement réduit a un simple facteur technique alors que les connaissances scientifiques, la capacité créative des hommes s’avèrent plus difficiles à mesurer et pas correctement corrélées aux performances des entreprises ou des pays en matière d’innovation. La mesure des gains de productivité va donc se concentrer sur le progrès technologique permettant l’automatisation du travail via de nouvelles machines ou sur une meilleur organisation du travail au sein des unités.
Pour les autres sciences humaines, l’homme peut être objet de recherches et de mesure, mais l’analyse de ces disciplines porte sur l’analyse de son comportement individuel ou social, et non sur sa fonction de producteur de richesses. En 1965, J. Berque élabore un programme de recherches sur le rôle du facteur humain dans le développement dans lequel le rôle du facteur humain est abordé tour à tour sous ses aspects spécifiques : décolonisation, croissance économique, développement, éducation, expression esthétique, repersonnalisation, et d’une façon globale, sous l’angle de la prise de conscience d’une « humanité en tant que tout ». “Le rôle du facteur humain dans le développement des pays nouvellement indépendants” J. Berque
L’éducation est donc un levier du développement économique en faisant progresser le niveau de compétence des travailleurs et en permettant le progrès social. Si le temps moyen que chaque personne consacre à l’éducation augmente d’un an, le produit économique du pays par habitant devrait augmenter sur le long terme, dans une fourchette comprise entre 4 à 6 % ». Données de l’OCDE
Le « facteur humain » comme comportement des hommes au travail au sein d’une entreprise.
Par la suite, les ergonomes vont mieux adapter les conditions et moyens de travail aux capacités de l’employé alors que “facteur humain” est devenue l’expression par laquelle les spécialistes de la sécurité des personnes et de la sûreté des installations désignent le comportement des hommes au travail.
Les recherches en ergonomie du travail menées aux États-Unis par la Human Factors and Ergonomics Society vont remettre l’accent sur le facteur humain au sein du système Homme × Tâche × Machine × Situation. Priorité au facteur humain Alain Lancry
Le facteur humain est fréquemment invoqué dans l’analyse des catastrophes industrielles, des accidents du travail et dans les procès ou les commissions d’enquête. On lui associe l’idée de faute, Christophe Dejours “Le Facteur humain”.
Cette conception négative de l’intervention humaine repose sur une confiance sans faille dans les sciences humaines objectivement quantifiables avec exactitude comme l’économie et sur une méconnaissance des autres sciences humaines plus explicatives des comportements et mais inefficace à intégrer dans des trajectoires économiques, sociales, climatiques. Même si il est vrai que l’erreur humaine est souvent cause d’accidents (neuf accidents automobiles sur 10 auraient une cause humaine source).
Le facteur humain comme “contribution (négative) de l’humain à un évènement”
Dans ce cadre de pensée, le facteur humain est appréhendé comme “la défaillance coupable liée à l’inconstance de l’être humain”. Comme posé par Thierry PORTAL dans Crises et facteur humain.
Prendre en compte la dimension spécifiquement humaine des phénomènes de crise, c’est poser le facteur humain comme “la contribution de l’humain à un évènement”. L’attention est portée sur la maîtrise de l’événement dont l’occurence est a éviter, en se concentrant sur pourquoi il est si difficile d’engager des efforts efficaces sur le plan de la prévention des risques pour circonscrire leur occurrence.
Par exemple en constatant que le comportement humain (en tant qu’acteur et décideur, chacun à son échelle) constitue aujourd’hui LE facteur limitant d’une transition réussie vers un développement durable, équitable et désirable.
Ainsi, l’Anthropocène se caractérise par l’avènement des humains comme principale force de changement sur Terre. Dans une lettre à Schiller, Alexandre de Humboldt définissait l’objet de sa recherche comme l’étude de « l’habitabilité progressive de la surface du globe », qu’il entendait comme la façon dont les humains avaient peu à peu transformé leurs environnements pour les plier à leurs usages et former des écosystèmes au sein desquels ils étaient devenus des forces décisives. Humain, trop humain ? Philippe Descola
Pourtant, si on en croit les historiens un être humain peut faire basculer l’Histoire, du mauvais côté, lorsqu’il détourne son regard des enjeux majeurs (ce qu’appelle Hubert Reeves, le putain de facteur humain) mais aussi du bon côté, lorsque qu’il reconnaît ce qui est précieux et se confronte aux enjeux humains et terrestres.
William Schutz, auteur de The Human Element, était convaincu que le potentiel humain inexploité peut être à l’origine d’accomplissements potentiels extraordinaires et que la compréhension par chacun du facteur humain est le socle de la réussite partout où les humains travaillent réfléchissent et font progresser des idées communes.
Le facteur humain comme “mécanismes psychologiques du comportement”
Justement en psychologie, le facteur humain concerne “les mécanismes qui existent entre ce qui est perçu par l’humain et les réactions conscientes ou inconscientes qui en découlent”. Or 90 % de notre activité est inconsciente et moins de 300 millisecondes sont nécessaires pour prendre une décision. Tel est le constat que tirent Francesca d’Amicis, Petra Höfer et Freddie Röckenhaus ici Ce qui permet de mieux comprendre les phénomène de déni liés à la difficulté de maintenir son attention dans le temps.
Il nous reste à faire le pari de l’humain, humain et donc imprévisible. Le psychologue Daniel Kahnemann a montré que les humains n’agissaient souvent pas de façon rationnelle et étaient victimes de biais cognitifs. Selon Antonio Damasio, nos actions sont la plupart du temps guidées par nos émotions, nos choix seraient “instinctifs”.
Faire le pari de l’humain à un moment qui demande de fortes capacités d’adaptation. Or l’humain est capable de logique disruptive et d’astuces (la Mètis chère à Ulysse et à Aristote). Pour le dire autrement, à partir du moment où on accepte que la valeur spécifique de l’homme ne se trouve pas dans le respect d’un protocole mais justement dans sa capacité à sortir des sentiers battus que ce soit en brisant les règles et la logique (disruption) ou au contraire en cherchant des raccourcis (Mètis) nous assistons à l’émergence d’une tout autre vision de l’humain et de l’homme au travail. (Dejours, 2018)
D’après Patrick Viveret, il y a une vraie marge de progression pour l’humanité qui est sa propre humanisation. Un champ immense de l’ordre de la conscience s’ouvre devant elle. Une conscience qui n’est pas simplement une conscience mentale, mais aussi une conscience sensible, émotionnelle.
Faire la pédagogie des “mécanismes psychologiques du comportement” #facteurhumain
S’il y a bien un domaine où la connaissance est plus particulièrement nécessaire, c’est bien celui de notre propre fonctionnement selon Jacques Fradin du GIECO L’apprentissage collectif, un levier à explorer.
Pour que l’Humain exprime son potentiel, il doit apprendre à se faire confiance, à croire en ses capacités plutôt qu’à se laisser guider par ses automatismes, il doit ainsi apprendre à reconquérir son attention, à clarifier ses intentions et à se reconcentrer sur ce qui compte pour lui et sur ce qui fait sa force : son environnement. En d’autres termes, l’Humain doit devenir un facteur positif pour lui-même et pour ce qui l’entoure. Alexandre Beaussier de Humans Matter.
Pour Jérémy Dumont de Nous sommes vivants, mobiliser les parties prenantes de l’entreprise sur les enjeux du développement durable passe par un changement de relation à soi, aux autres et au vivant. Chez Socrate, la philosophie ne désignait pas l’acquisition d’un savoir, mais une manière de s’interroger, de se mettre en question, une forme de souci de soi dans sa relation aux autres. Revenons au “connais toi toi même” de Socrate.
Humans Matter, le GIECO et Nous Sommes Vivants ont ainsi crée la fresque du facteur humain à la suite de l’université du facteur humain de 2021 (ici) en publiant le design paper ci dessous et en proposant de signer le manifeste du facteur humain https://designcognitif.co/manifeste/
La fresque du facteur humain concue par Humans Matter et déployée au sein de l’association Université du facteur humain permet de prendre un temps de réflexion sur les facteurs humains qui limitent notre capacité à changer : les émotions, les biais, les habitudes, l’apprentissage…
Nous organisons des ateliers de la fresque du facteur humain portant sur les changements de comportements favorisant la biodiversité. Voici la liste des sessions découverte gratuites animées par Jérémy Dumont et Brigitte Goglione https://www.levidepoches.fr/lesupercollectif/2022/09/fresque-du-facteur-humain-les-changements-de-comportement-favorisant-la-mobilisation-des-acteurs-de-.html
NOUS SOMMES VIVANTS, LE COLLECTIF DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE #NOUSSOMMESVIVANTS