Orelsan l'odeur de l'essence : https://youtu.be/zFknl7OAV0c
La catastrophe, mode de l'évolution humaine?
Nous ne pouvons que constater notre inertie individuelle et collective devant la situation environnementale actuelle. Inaction du gouvernement. Inaction collective. Le GIEC parle de « retombées cataclysmiques », et pourtant chacun continue de vivre comme si de rien n'était. Dans un “Triangle de l'inaction”, véritable situation de blocage collectif où chacun pointe du doigt les responsabilités des autres.... personne ne fait les efforts nécessaire pour changer de comportements, pour changer de système !
Bien sûr les comportements des Français ont déjà sensiblement évolué mais le premier geste reste la pratique du recyclage menée par moins d'un Français sur deux (étude IPSOS pour l’université du facteur humain / nous sommes vivants). Bien sûr, institutions et entreprises doivent accompagner les changement et proposer des alternatives. Et n'oublions pas que les s eco gestes ne contribuent qu'a hauteur de 25% aux efforts climat d'après l'étude Carbone4. En réalité, le combat ne pourra être gagné que s’il est mené sur tous les fronts. Et l'entraide et la collaboration apparaissent comme des comportements à favoriser alors que la compétition reste la norme. Pourquoi vouloir « être à l’avant dans un avion qui va droit vers le crash » comme le suggère Orelsan dans sa dernière chanson « L’odeur de l’essence » ?
Mais quel est le point de vue des scientifiques du comportement ?
Il existe aujourd’hui plusieurs définitions du comportement. Parmi celles-ci, N. Sillamy (1993) indique que le comportement humain correspond aux « réactions d’un individu, considéré dans un milieu et dans une unité de temps donnée à une excitation ou un ensemble de stimulation ». K. Lewin (1936), quant à lui, définissait le comportement de façon encore plus générale avec : C = f (P,E). Le comportement C dépend ainsi à la fois de la personne P et de son environnement E, et non pas uniquement de l’un ou de l’autre de ces paramètres. Cette formalisation permet de prendre en compte l’environnement au sens large du terme (environnement physique, social, spatial, temporel) et les caractéristiques des individus (résistance physique, culture, expérience) comme paramètres conditionnant les réactions des populations humaines.
Lors d’une catastrophe, les réactions humaines ont pour finalité de faire face à une situation exceptionnelle par des comportements différents de ceux du quotidien. Lorsqu’un danger est annoncé (ex. ouragans) mais que la distance temporelle entre sa manifestation et son annonce est importante, les réactions humaines sont davantage réfléchies qu’instinctives. Les comportements instinctifs : ils sont traités par la zone reptilienne du cerveau qui gère les Etats d’Urgence de l’Instinct (Laborit, 1994). Ils regroupent les comportements de fuite instinctive et de panique, de sidération, de lutte instinctive mais aussi les comportements d’automate (Vermeiren, 2007). Les comportements acquis et intelligents : ils sont gérés par le cortex préfrontal (George et Gamond, 2011) afin d’adapter, de façon réfléchie et non plus instinctive, les réactions à la perturbation. (source)
Figure 3 : Le cycle des réactions comportementales au regard des phases du risque et de la catastrophe
Qu’est-ce qui fait qu’on ne change pas dans les comportements au quotidien ?
Au quotidien, ce qui tend à freiner notre action, ce sont nos automatismes. Ces derniers ne demandent pas d’effort, n’exigent pas de réflexion de notre part, nous permettant ainsi de nous concentrer sur d’autres choses. Ils ont donc du bon et sont d’ailleurs indispensables, car si nous étions sans cesse en position de mise à distance de nos habitudes déjà contractées ou de chaque décision que nous prenons, cela entraînerait des temps de réaction augmentés, mais aussi une dépense énergétique forte, et de la fatigue mentale. C’est pourquoi nos manières d’être sont majoritairement ancrées dans des automatismes, des schémas spontanés.
Ainsi, se détacher de ses automatismes identifiés comme délétères au profit de nouveaux comportements demande un réel effort, car la simple volonté de l’individu ne suffit pas pour changer. Or, l’effort n’est pas une manière d’être spontanée : il est plus confortable de l’éviter afin d’économiser de l’énergie corporelle et cérébrale. Et c’est en effet l’une des caractéristiques de notre cerveau que de chercher à dépenser le moins d’énergie possible, en évaluant constamment le coût d’une action en fonction de la récompense, du bénéfice escomptés. Et si le bénéfice est jugé trop faible et la récompense trop lointaine, peu de chance que le cerveau s’engage dans le changement.
Comment expliquer que la nécessité écologique n’agisse pas sur nous comme une contrainte ?
Avons-nous peur de ne pas être à la hauteur des transformations à venir ? L’inertie serait-elle le résultat d’une résignation acquise, c’est-à-dire du sentiment de n’avoir aucun pouvoir sur une situation ? (Lire l’article « L’impuissance acquise, envers de la motivation » de Stéphanie de Chalvron) La nécessité de changer pourrait être empêchée par cette impuissance acquise qui annihile toute motivation, et donc toute action.
Deci et Ryan (1985) considéreront les situations, dites d’amotivation, dans lesquelles l’individu n’établit aucune relation entre ses comportements et les résultats qu’il obtient. Il suppose, alors, que ses comportements résultent de facteurs indépendants de sa volonté. L’individu n’est pas motivé et se trouve dans un état de résignation. Blais, Briere, Lachance, Riddle et Vallerand (1993) distinguent deux formes d’amotivation (amotivation interne et externe). La motivation intrinsèque est plus plus puissante que la motivation extrinsèque (contraintes légales, incitations économiques). Elle entre en jeu lorsqu’une activité est réalisée pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure (ici)
La prise de décision serait alors influencée par nos biais cognitifs, et notamment par le biais du statu quo selon lequel nous avons tendance à nous réfugier dans l’état que nous connaissons plutôt que nous aventurer vers un état inconnu. Ce biais comportemental nous incite à résister au changement et à refuser la nouveauté. Dès lors, malgré la conscience des enjeux écologiques, nous pouvons considérer les actions à mener comme étant à la fois incertaines et comme présentant plus de risques que d’avantages, dans la mesure où il nous faut encore les expérimenter. Or, le biais du statu quo nous conduit à privilégier la connaissance déjà acquise sur l'expérience non encore réalisée.
Aussi, comment réussir à nous défaire de nos biais cognitifs pour réconcilier la prise de décision et le passage à l’action ? Si la seule décision consciente ne suffit pas à influencer durablement nos comportements, la contrainte ne peut non plus apparaître comme un moyen de passer à l’action. Car elle ne permet pas aux individus de se sentir acteurs du changement, ce qui ne peut par la suite transformer durablement les comportements. La décision doit donc être accompagnée, soutenue par une approche réflexive plus profonde, que permet la cognition.
Reprendre le contrôle de sa cognition pour faire évoluer ses comportements
La métacognition, c’est l’ensemble des processus par lesquels nous apprenons à prendre conscience de notre fonctionnement cognitif et des facteurs qui l’influencent. Elle permet d'accroître la connaissance que nous avons de nous-mêmes et du monde. Dans ce travail de compréhension de soi, de ce qui peut influencer la transformation de nos comportements, l’attention, la mémoire et l’émotion jouent un rôle primordial (Damasio).
L’attention.
Cela passe notamment par un recentrement de nos attentions — individuelles et collectives — pour créer du sens aspirant au changement : “Qu’est-ce que ce changement m’apportera de positif ?”Il convient en outre de se questionner sur nos manières d’être dans le monde, sur nos impacts et sur les raisons et bénéfices à changer. Cette approche réflexive semble essentielle pour évoluer
La mémoire.
Une fois le sens cerné, la mémoire peut intervenir en guidant notre action. Je peux par exemple me souvenir d’une action qui a été positive pour moi et pour les autres, tout en ayant des difficultés à la reproduire. Je peux alors tenter de piocher dans ce que ma mémoire a conservé — tout en sachant que ce qui est conservé est aussi influencé par les biais cognitifs — et ainsi orienter ma conduite. Je vais en effet tenter d’éviter les situations qui m’ont causé des désagréments, et recréer les conditions des vécus qui m’ont au contraire apporté des bénéfices. Aussi, si j’ai apprécié effectuer une action qui, même si elle ne change pas le monde à elle seule, apporte tout de même un gain, je peux me rappeler de ce souvenir positif pour m’encourager à agir et influencer mes comportements à venir.
Dès lors, ma mémoire peut être considérée comme le fondement de ma motivation positive, que nous recherchions plus haut, et va générer de l’envie. Celle-ci pourrait se substituer à la contrainte, et amorcer un engagement durable dans l’action, car je me rends alors compte que je suis en mesure de décider en fonction de ce sur quoi mon attention s’est portée, et que cette décision n’est pas vaine.
Les émotions.
Nous voyons alors que l’émotion joue un rôle prépondérant. Elle semble faire le lien entre notre cognition et notre comportement. Car si je pose mon attention sur les souvenirs positifs, c’est que je ressens des émotions capables d’orienter mon attitude vers une certaine voie. Ainsi entendue, l’émotion peut être considérée comme le déclencheur de notre action, ou du moins comme ce qui va orienter notre action. Une émotion positive facilitera le passage à l’action, alors qu’une émotion négative aura tendance à nous empêcher d’agir (Lazarus).
Aussi, c’est par l’émotion que nous pouvons guider notre cognition, et retrouver notre capacité à évoluer, non plus sur le mode de la catastrophe, mais sur une réapropriation de nos capacités à évoluer, notamment par une connaissance de nous-mêmes plus adéquate.