Pas besoin d’être un docteur en anthropologie ou un grand penseur de plateau télé pour constater la déprimante évidence : les avancées culturelles des promesses de la Transition écologique patinent comme un skieur de décembre sur de l’or blanc de canon à neige. Pour susciter la motivation intrinsèque de chaque citoyen, l’écologie ne devrait donc plus apparaître comme contraignante. Fini la théorie du grand renoncement – de l’avion, de quelques degrés de chauffage en plus, des sapins coupés de leurs forêts ? Ce n’est pas si simple. Ce qui l’est par contre, c’est de comprendre que pouvoir s’incarner dans un nouveau mode de vie désirable adopté avec plaisir peut être une réponse pour la grande bascule collective. Interview de Jérémy Dumont, créateur de la Fresque des Imaginaires par GOODD
Pourquoi cette Fresque des imaginaires et comment fonctionne t-elle?
La crise écologique est une crise de liens au vivant qui nécessite de (re)interroger le « Grand Partage » (la séparation « Nature-Culture ») qui a commencé en Europe à la Renaissance avec l’émergence de l’individualité. Comment nous situer dans le monde, dans un contexte dont nous faisons partie, mais au centre duquel nous ne sommes pas nécessairement situés, et où nous découvrons la multiplicité des réseaux d’interdépendance qui lient humains et non-humains ?
L’ambition de la Fresque des Imaginaires c’est de sortir de cette crise des imaginaires en faisant émerger des imaginaires écologiques positifs, responsables et désirables. Façonner en petits groupes une autre vision du futur à partir d’autres façons d’être au monde qui existent déjà dans la réalité ou ne sont encore que le fruit de notre imagination.
La fresque des imaginaires c’est un atelier de 3 heures qui permet aux participants de se projeter dans des modes de vie responsables et désirables en s’inspirant de 4 « visions de la relation homme-nature ». Elle est thématique, par exemple : habiter sur terre en 2030.
Les 4 « visions de la relation homme-nature » qui s’illustrent dans la fresque des imaginaires sont ceux de la psychosociologue Nicole Huybens (2011) qui a travaillé sur les courants majeurs de l’éthique environnementale : les humains comme individus exploitant la nature pour les anthropocentristes, la vie et l’ensemble des espèces menacées par les humains pour les biocentristes, la communauté biotique pour les écocentristes dont les humains font partie et les êtres vivants comme individus en interaction dans un lieu donné pour le multicentrisme.
Au début de l’atelier 4 imaginaires sont posés pour donner de l’air aux imaginaires des participants. Sur la base de ces imaginaires, les participants sont invités à réfléchir à ce qui est vraiment important pour eux, à s’ouvrir aux humains et non humains et finalement à prendre conscience que nous sommes tous des êtres vivants sur une même terre. Enfin, les participants imaginent comment ils souhaiteraient habiter sur terre en 2030 si le thème choisi est celui ci.
“John Dewey définit l’imagination comme la possibilité de regarder les choses comme si elles pouvaient être autres.” C’est tout le sens de l’exercice de collage, inviter les participants à s’extraire de leurs contraintes pour rêver l’espace d’une heure individuellement et collectivement. Les propositions partagées sont autant de façons nouvelles d’habiter sur terre en étant aligné avec ses valeurs, sans tensions, autant de nouveaux modes de vie a explorer.
En quoi selon vous est-ce vital de mettre l’installation et la diffusion d’un nouvel imaginaire au cœur de la Transition écologique ?
La crise de la biodiversité et le changement climatique posent clairement la question de l’habitabilité de cette planète dans un futur proche. Selon Descola, pour apprendre de nouvelles façons d’habiter la Terre, il nous faut un apprentissage, une prise de conscience des interactions multiples entre chacun d’entre nous et le reste du monde. Bien sûr. Il faut réfléchir à ce que doivent être les nouvelles humanités, qui ne soient pas centrées sur les humains mais essayent de faire droit à d’autres représentations de la diversité humaine, qui ne prend pas l’humanité comme une sorte de totalité définie a priori par certaines des caractéristiques que la philosophie des Lumières attribue à l’humanité.
Mais la détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux passés, actuels ou attendus ne nous met pas collectivement en mouvement pour améliorer les condition des vies des générations futures et encore moins d’améliorer l’habitabilité de la terre pour tous les êtres vivants. Impossible de se projeter dans le futur, l’humanité n’a pas d’avenir sur terre.
Depuis la fin du XXème siècle ce n’est plus l’imaginaire de la modernité et du progrès qui lui est associé qui est dominant en occident et plus particulièrement en France, c’est plutôt le récit de la crise de la modernité : l’horizon du « progrès » laisse place à un présent submergé par les « dégâts du progrès ». L’humanité n’a plus en face d’elle une « nature » dont, il faudrait s’émanciper par la connaissance afin de la domestiquer au service de la croissance et de l’abondance : elle a en face d’elle les conséquences négatives de son propre développement qui met en péril toute forme de vie sur terre.
Or la transition écologique, si nous voulons la mener collectivement, suppose de donner véritablement envie à chacun d’adopter volontairement de nouvelles façons d’être au monde, de vivre et d’habiter sur terre et l’adhésion à de nouvelles valeurs ou des valeurs plus profondément ancrées en nous pour réorienter les comportements. Elle nécessite une transformation culturelle portée par des récits et des imaginaires positifs qui agissent sur les représentions mentales de nous même et les représentations collectives inconscientes de ce qui fait société.
L’ambition de la Fresque des Imaginaires c’est de proposer aux collectivités locales, entreprises et associations une multitude d’approches de l’écologie pour se projeter ensemble dans d’autres façons de vivre et faire société. Nous allons déployer des sessions avec les artistes pour alimenter notre créativité.
N’est-ce pas finalement un peu flippant de se dire que se projeter sur 2030 se fait avec de l’imagination et pas avec une visualisation claire ?
Pour les lecteurs de l’anthropologue Philippe Descola et du philosophe Bruno Latour, c’est désormais un acquis : nous sommes sortis du grand partage entre l’homme et le monde. La nature n’est plus un décor, un réservoir de richesses, une aire de repos ou un terrain de jeu.
Pour Philippe Descola, il faut combattre l’humanisme au sens de l’anthropocentrisme. C’est à dire la domination des humains sur la nature. Comprendre que la nature n’existe pas comme concept séparé de l’humanité. Déconstruire le principe du cogito ergo sum de Descartes, selon lequel seul l’humain un sujet car il est doté de rationalité et de sensibilité, et la nature un objet.
Comme le dit Bruno Latour, “il est très important, pour sortir l’écologisme de certaines impasses, d’ajouter à notre pensée l’idée que nous sommes des vivants par l’ingénierie des vivants qui nous ont précédés — ingénierie à laquelle nous ajoutons la nôtre, humaine, tantôt positive et tantôt catastrophique. Cette approche permet d’établir des continuités là où l’on pense encore la question de l’écologie comme une discontinuité”.
Et si il s’agissait de refaire société entre nous, les vivants ? Pour bien vivre tous ensemble sur terre humains et non-humains. Baptiste Morizot, philosophe et naturaliste dit que « nous sommes des vivants parmi les vivants », que nous devons apprendre à cohabiter avec les autres espèces, comprendre le fonctionnement des écosystèmes, s’en inspirer et en respecter l’équilibre.
Si nous sommes d’accord avec ce nouveau contrat social alors il existe un imaginaire qui se dessine de façon claire : la régénération.
C’est une approche intégrative dans laquelle les humains font partie de la nature. Elle est basée sur une vision multicentrique des relations homme — nature est dans laquelle chaque être vivant est pensé comme une entité agissante au sein d’un écosystème. Dans cette approche les humains peuvent être des auxiliaires de la biodiversité. On parle de régénération assistée par les humains. Et de services écosystèmiques de la nature pour les humains et les autres êtres vivants. Le tout de façon participative avec les habitants d’un lieu, entre les espèces, en symbiose.
C’est l’écologie de la planète imaginaire Pandora dans Avatar. Le film montre des espèces qui vivent en communion les unes avec les autres, des cavaliers humanoïdes nouent un lien éternel et organique avec leur monture, les arbres parlent aux vivants et même aux morts… La diversité des formes de vie est un prétexte pour nous plonger dans un univers animiste, radicalement différent des schémas de pensée occidentaux depuis Descartes.
Quel rôle jouent les imaginaires dans la prise de conscience des enjeux et le changement de comportement pour être plus responsable ?
Pour les scientifiques du comportement, il est clair que la motivation intrinsèque (liée à une satisfaction personnelle qu’on peut trouver à réaliser une activité) est la plus puissante à faire basculer durablement les comportements, par opposition à une motivation plus extrinsèque (liée à la satisfaction que l’on peut avoir à obtenir une récompense provenant de l’extérieur ou aux conséquences de cette récompense pour l’image de soi et les objectifs personnels).
Pour susciter la motivation intrinsèque l’écologie ne doit donc plus apparaitre comme contraignante, une doctrine exigeant par responsabilité de renoncer aux avions, à quelques degrés de chauffage et aux sapins coupés de leurs forêts. Au contraire s’incarner dans un nouveau mode de vie, désirable que l’on adopte avec plaisir.
Pour susciter la motivation extrinsèque, il s’agit de lever les freins de désirabilité sociale associés aux représentations que les gens ont d’un consommateur responsable. Cette étude a permis d’identifier plusieurs figures archétypales négatives du consommateur responsable. Il serait, au choix, intégriste, ermite, rabat-joie ou encore snob. L’analyse de ces différents archétypes négatifs du consommateur responsable fait émerger autant de freins à l’adoption de comportements de consommation responsable. Respectivement, nous identifions ainsi un frein d’intégration en lien avec la peur des conflits induite par une posture perçue comme trop intégriste, « jusqu’au-boutiste » ; un frein de désirabilité avec cette autre forme de marginalité associée à l’ermite et au refus de la modernité ; un frein d’hédonisme, si l’on suit le rabat-joie, incapable de tout plaisir spontané, et rationalisant toute décision de consommation. Enfin, au consommateur responsable « bobo » est associé un frein d’identification et le rejet d’une posture élitiste et condescendante. (ici)
Or de l’anthropocène n’émanent que des futurs dystopiques, aucune place pour les utopies. L’Anthropocène est intimement reliée au fantasme d’effondrement de la civilisation occidentale dans un futur proche. L’effondrement étant un concept créé par Pablo Servigne qui dit dans son livre que « l’effondrement, c’est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Dans sa lignée, la collapsologie est l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle, qui propose une approche systémique à partir de scénarios et prévisions scientifiques (Anthropocène et effondrement : approches de la « civilisation industrielle »ici).
Vous dites qu’en fonction de nos relations à la nature l’IPBES à déterminé 4 systèmes de valeurs ?
VIVRE DE LA NATURE (ANTHROPOCENTRISME)
– Les humains exploitent la nature qui est une ressource au service du confort individuel et de la capacité d’agir collective.
VIVRE DANS LA NATURE (BIOCENTRISME)
– Toute vie mérite une considération morale égale. Les humains doivent protéger tous les êtres vivants sur terre.
VIVRE AVEC LA NATURE (ECOCENTRISME)
– Au sein de l’écosystème terre c’est l’ensemble des êtres vivants qui interagissent autour des ressources nécessaires à la vie.
VIVRE CONNECTÉ À LA NATURE (MULTICENTRISME / RÉGÉNÉRATION)
– La nature se régénère dans une trame de relations entrelacées entre les humains, les non humains et leurs ressources vitales.
C’est quoi la fresque des imaginaires ?
C’est un atelier réflexif qui permet d’ouvrir de nouvelles perspectives pour son territoire, son entreprise, sa marque et ses produits.
La fresque des imaginaires permet de se projeter dans des modes de vie responsables et désirables en s’inspirant de 4 « visions de la relation homme-nature ».
Elle est thématique, par exemple : habiter sur terre en 2030.
Des articles pour aller plus loin
- Présentation des 4 relations à la nature et les 4 imaginaires associés (ICI)
- Illustration des 4 mondes imaginaires (détaillés ici)
- Illustration des imaginaires par 4 artistes ICI
- Les 4 pistes d’innovation produits / services à impact + ICI
- Focus sectoriels marques et produits régénératifs: l’alimentation régénérative, la mode régénérative, la beauté régénérative, le vin et champagne régénératifs et le chocolat bio et régénératif
- Autres secteurs avancés sur la régénération en France : le tourisme régénératif et l’architecture régénérative (dont la construction)
- Focus transformation : donner un siège à la nature et aux générations futures au sein de son conseil d’administration, une pratique qui se développe
- Focus startups : les starts ups à impact dans le secteur alimentaire font partie de la solution.
- Décryptages d’objets culturels en fonction de ces 4 mondes imaginaires
- Au coeur de la nature (imaginaires de Princess Monoké) ICI
- Focus sur les imaginaires du film Avatar (ici) et de Strange world (ici)
- 4 livres sur l’écologie à lire au fond de son lit (ici)
- A la recherche d’imaginaires responsables & désirables https://lnkd.in/g_QUCh9S (genèse de la fresque)
Prochaines sessions de test
Ca se passe ICI
Nous Sommes Vivants a développé une fresque des imaginaires qui se base sur nos rapports au vivant afin d’imaginer collectivement d’autre façons d’être au monde et l’habiter en reconnexion avec la nature
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