Une étude du CNRS en partenariat avec des universités européennes dresse le scénario d’un système agro-alimentaire biologique et durable d’ici 2050. Il permettrait de nourrir la population européenne attendue dans 30 ans, et surtout de réduire largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre provoquées par l’agriculture.
« Remodeler le système agro-alimentaire européen et fermer son cycle d’azote : le potentiel de combiner changement de régime alimentaire, agroécologie et circularité« . Voici le nom d’une étude menée par des scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), publiée dans le journal scientifique One Earth le 18 juin. Elle a été réalisée en partenariat avec des universités espagnole, suédoise, autrichienne et italienne.
Ses 29 pages dressent le scénario d’un système agro-alimentaire respectueux de l’environnement dans l’Union européenne (UE) d’ici 2050. L’étude considère que l’agriculture européenne actuelle se caractérise par une logique d’intensification sur des surfaces réduites, et une spécialisation des activités selon les territoires. Or cela ne permet pas d’exploiter la complémentarité entre la culture des terres arables et l’élevage du bétail. Ce qui provoque de grandes pertes d’azote.
Nourrir l’Europe en local au détriment de l’exportation
S’il était appliqué, ce scénario permettrait de réduire largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture. Il nourrirait également l’ensemble de la population européenne en 2050, estimée à 601 millions d’habitants par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les échanges entre les pays européens seraient réduits de moitié comparé à aujourd’hui. Les exports nets de céréales et de produits animaux hors de l’Europe continueraient respectivement à 7% et 36% du niveau actuel. Mais les énormes importations de soja pour l’alimentation animale, qui font aujourd’hui de l’Europe un importateur net de protéines, seraient totalement abolies.
Le scénario envisagé repose sur trois leviers combinés. Le premier tient dans le changement de notre régime alimentaire vers un régime plus sain et frugal. Le second levier concerne la généralisation des pratiques d’agroécologie avec notamment la réduction des émissions d’azote. Le dernier appelle à une plus grande circularité entre les cultures et l’élevage. « C’est l’action synergique de ces trois leviers qui permet d’avoir un scénario harmonieux« , précise Gilles Billen, le chercheur du CNRS qui a dirigé l’étude.
Vers un régime « plus sain et frugal«
De 1961 à 2013, la part de protéines animales dans l’alimentation des Européens est passée de 35% à 55%. Or avec cette hausse de la consommation de produits animaux, l’élevage hors sol et l’importation de nourriture pour le bétail se sont fortement développés. Pour rappel, un élevage hors sol est un élevage qui ne produit pas l’alimentation de ses animaux.
Ce scénario propose donc de modifier notre régime alimentaire actuel vers un régime « plus sain et frugal« . Il serait composé à 45% de céréales, à 15% de fruits et légumes frais et à 10% de légumes-graines. Les produits animaux (viande, lait, œufs et poisson) représenteraient 30% de ce nouveau régime. Un régime en accord avec les recommandations de la FAO et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Car pour Gilles Billen, le premier objectif de ce changement d’alimentation est sanitaire. Le chercheur explique : « Bien sûr, cette réduction des produits animaux a des avantages écologiques. Mais la première motivation est de proposer un régime qui évite les problèmes cardio-vasculaires et les cancers colorectaux. On sait que ces maladies sont associées à une grande proportion de lait et de viande dans l’alimentation.«
Ce nouveau régime représenterait une ingestion de 5 kg d’azote par personne et par an contre 6,1 kg aujourd’hui. La réduction des émissions d’azote joue un rôle capital dans le scénario proposé par cette étude.
En fait, l’azote, c’est quoi ?
L’azote est un nutriment essentiel pour les plantes, qui en ont besoin pour se développer. Certaines plantes ont la capacité de fixer l’azote de l’air dans le sol, le rendant assimilable pour les plantes. Ces plantes, qu’on dit « fixatrices d’azote« , sont principalement les légumineuses. Ces dernières sont des plantes dont le fruit est une gousse : pois, fève, trèfle, luzerne…
L’azote amené au sol sous forme d’engrais, lorsqu’il n’est pas absorbé par les cultures, est source de pollution sous trois formes. D’abord les nitrates. Ceux-ci contaminent les eaux et sont à l’origine des algues vertes dans la Manche et sur le littoral atlantique. Ensuite le protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2). Enfin l’ammoniac, à l’origine notamment des pics de pollution de l’air au printemps.
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