Il n’y aura pas d’agriculture durable ni de bonne santé nutritionnelle sans changement des régimes alimentaires ; et ceci constitue un défi d’ampleur. Or la stratégie mobilisée jusque-là en France pour mener cette transition alimentaire, et qui repose sur le pari du consommateur responsable, ou « consom’acteur », ne produit pas les résultats escomptés. Dans une Étude (Brocard & Saujot, 2023) publiée en parallèle de ce billet de blog et consacrée à la future Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), l’Iddri insiste sur la nécessité d’une action publique beaucoup plus forte pour être à la hauteur des enjeux. Celle-ci ne viendrait pas peser davantage sur les citoyens en restreignant leurs libertés individuelles1 ou en leur demandant plus d’efforts, mais s’exercerait à l’inverse sur les principaux acteurs qui façonnent les pratiques alimentaires.
Une transition dans les esprits, pas dans les actes
La consommation de viande par habitant ne baisse plus depuis quelques années et nous sommes loin d’une trajectoire compatible avec nos objectifs environnementaux qui suppose de réduire la part des produits animaux dans nos consommations (Rogissart, 2023), alors même que son impact sur le climat est de plus en plus publicisé. Le bio reste un marché de niche (6 % des achats) et la question du bien-être animal n’est pas devenue un réel critère d’acte d’achat. L’attrait pour le local n’a pas modifié les grandes masses de la consommation alimentaire et des circuits de distribution (61 % des achats se font en grandes surfaces). Par ailleurs, les recommandations nutritionnelles ne sont pas suffisamment mises en œuvre par les Français, notamment concernant la hausse de la consommation de fibres et de fruits et légumes, et la baisse de la consommation de charcuterie et, dans une moindre mesure, de viande (hors volaille) (Santé Publique France, 2019). Les inégalités sociales liées à l’alimentation (eg. obésité, consommation de fruits et légumes, consommation de bio, etc.) demeurent, tandis que les situations de précarité alimentaire se multiplient (Brocard & Saujot, 2023).
Les habitudes alimentaires ne progressent donc pas, ou trop peu, vers une durabilité qui allierait objectifs environnementaux et santé humaine, alors que les sondages d’opinion semblent indiquer l’inverse2 . Un écart existe par exemple entre ce que déclarent les citoyens quant à leur réduction de consommation de viande et leur volonté de la réduire encore3 , ou entre leur identification en tant que « flexitarien »4 et la réalité de la consommation de viande (Rogissart, 2023) ; c’est ce que certains appellent un “consumer-citizen gap” c’est-à-dire un écart entre ce que les citoyens déclarent attendre de leur alimentation, et leur comportement de consommation (de Bakker et Dagevos, 2012)
Le récit dominant du consommateur responsable ne fonctionne pas
Pour comprendre comment sortir de cette situation, il faut revenir au récit dominant de ces 20 dernières années. Nous pouvons le résumer ainsi : les préoccupations croissantes d'une partie de la population, relayées et diffusées par les médias et sondages d'opinion, allaient amplifier et diffuser graduellement au sein de l’ensemble de la population des tendances encore minoritaires dans les habitudes alimentaires (être prêt à payer plus cher pour son alimentation, consommer moins mais mieux de viande, plus de bio, en circuit court, etc.) et presser les acteurs de l'industrie agroalimentaire à modifier leur offre. La figure du « consom’acteur » résume cette vision : par ses choix individuels accompagnés par la puissance publique (information, labels, etc.), le consommateur engagé et responsable allait traduire la transition en actes.
Or ce récit repose sur une vision trop simplifiée de la société et des changements de modes de vie.
Compter sur la traduction automatique des préoccupations en actions fait fi de la rigidité des environnements alimentaires, c’est-à-dire les conditions physiques, économiques, socio-culturelles et cognitives qui influencent nos habitudes alimentaires, et sur lesquelles l’action publique n’a pas été suffisante (Brocard & Saujot, 2023).
Imaginer une diffusion de cette consommation « engagée » dans une société pensée comme uniforme ignore les effets de segmentation ou de différenciation entre groupes sociaux (Dubuisson-Quellier et Gojard, 2016). Cette forme de consommation, perçue comme militante, est « profondément associée à un groupe social dans lequel le plus grand nombre ne se reconnaît pas nécessairement », ce qui limite automatiquement sa diffusion (Dubuisson-Quellier,2018, conclusion).
La logique d'entraînement, par l’action d’un consommateur « arbitre », des acteurs privés de l’offre (Dubuisson-Quellier, 2016, chap 5) sous-estime les asymétries de pouvoir, d’information (multiplicité et complexité des labels) et d’influence (moyens alloués au marketing) au sein des systèmes alimentaires (SAPEA, 2020) et bien souvent en défaveur du consommateur.
Les limites théoriques de ce récit se prolongent, dans la réalité, dans des motifs de frustration tangibles pour le consommateur-citoyen. Pris dans des injonctions contradictoires, portant la responsabilité de mener la transition dans une société où l’environnement alimentaire (voir schéma ci-dessous) reste inchangé, les consommateurs font face soit à une difficulté pratique à mettre leurs actions en adéquation avec leurs convictions (et notamment les citoyens les plus contraints), soit au décalage entre l’évolution de leur propre comportement et l’inertie de la société (« je change mais rien ne change »). En outre, ce décalage entre les attentes autour de l’alimentation telles qu’elles sont perçues par les filières agricoles et la réalité des pratiques des consommateurs peut également nourrir pour ces acteurs un ressentiment à l’égard d’un consommateur qui ne voudrait pas payer pour la transition qu’il demande (ex. label qualité, valorisation du bien-être animal et de l’environnement lors des actes d’achat). L’ensemble de ces frustrations est fortement contre-productif pour la transition.
Le récit du consommateur responsable ignore-t-il ce “consumer-citizen gap” ? Non, mais en raison de la vision simplifiée sur laquelle ce récit repose parfois, il a tendance à réduire ce décalage à une forme d’irrationalité ou à des biais comportementaux, auxquels il s’agirait de remédier uniquement à l’échelle individuelle via de l’information, de la persuasion ou des « nudges » par exemple (Bergeron et al., 2018 ; De Bakker & Dagevos, 2012).
Changer de récit de transition : d’une responsabilité individuelle à une responsabilité de la puissance publique
Notre interprétation de ce décalage est tout autre: il s’agit plutôt de la conséquence d’un manque important d’action collective à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire des politiques publiques et des stratégies privées, et permettant d’agir sur les trois limites identifiées : i) l’environnement alimentaire qui détermine notre consommation, incluant notamment ii) les représentations socio-culturelles de l’alimentation ; et iii) l’offre disponible et mise en avant. Or la stratégie du consommateur responsable ne conduit pas véritablement à mobiliser ce type d’intervention publique, et pas avec le bon niveau d’intensité.
Il est donc temps de changer de stratégie : la transition passe par une action beaucoup plus forte sur les environnements alimentaires et l’action que les pouvoirs publics pourraient mener dans ce sens dispose d’une légitimité forte dans la mesure où ceux-ci agissent au nom de la nécessaire préservation de nos écosystèmes et de notre santé. Les pouvoirs publics doivent assumer leur responsabilité et orchestrer des changements, qui non seulement répondront à des préoccupations actuellement portées, on l’a vu, par une partie de la société, mais qui, surtout, seront à la hauteur des enjeux. L’action sur les environnements alimentaires est en effet susceptible d’entraîner « plus largement », c’est-à-dire de concerner aussi des catégories sociales éloignées de ces préoccupations. De façon liée, une action publique de cette ampleur conduirait à réduire le phénomène d’une alimentation à deux vitesses - avec certains pans de la population en capacité d’avoir accès à une alimentation durable « engagée » et d’autres qui en sont privés. Par ailleurs, l’action sur l’environnement alimentaire ne revient pas à dicter de nouvelles habitudes alimentaires, mais au contraire à agir sur les acteurs intermédiaires (industriels, distributeurs) afin de redonner des marges d’action aux consommateurs et faciliter l’adoption de pratiques alimentaires durables et saines. Il s’agit donc de changer fondamentalement le discours sur la transition alimentaire, comme la stratégie employée pour la faire advenir.
Illustration de propositions pour agir sur l’environnement alimentaire, issues de l’étude « Environnement, inégalités, santé : quelle stratégie pour les politiques alimentaires françaises ? » (Brocard & Saujot, 2023).
1 Voir également l’article « 10 idées reçues sur la sobriété des modes de vie », qui tente d’apporter des éléments pour un débat plus fertile sur ces questions. Saujot, M. et Thiriot, S. (2022). https://bonpote.com/10-idees-recues-sur-la-sobriete-des-modes-de-vie/
2 Par exemple, en 2022, selon le Baromètre de l’Agence Bio, 74 % des Français se déclaraient sensibles à la naturalité de la matière première s’agissant de leur alimentation, mais ils étaient seulement 13 % à consommer des produits issus de l’agriculture biologique tous les jours ; de même, en 2019, selon un sondage IFOP, 92 % des Français déclaraient penser que le respect du bien-être animal est important – ce qui aurait pu les conduire à interroger leurs pratiques de consommation de produits d’origine animal. https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2022/03/Barometre-de-consommation-et-de-perception-des-produits-bio-Edition-2022_VF.pdf ; https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/03/Infographie-BIEN-ETRE-ANIMAL-IFOP-e1574676620326.png
3 Respectivement près de la moitié des Français et entre 1/3 et 3/4 des Français (Harris interactive 2021 pour Réseau Action Climat; Ifop 2021), tandis que les derniers bilans d’approvisionnement de FranceAgriMer observent une stagnation des quantités moyennes de viande disponibles à la consommation.
4 Dans l’étude FranceAgrimer-Ifop sur les régimes des français.e.s, une part significative des flexitariens déclarés sont en fait omnivores (Végétariens et flexitariens en France en 2020, Enquête IFOP pour FranceAgriMer, 2021), Verain et al. (2022 : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S095032932100327X) pointent dans le cas des Pays-Bas le décalage entre la hausse du nombre de flexitariens déclarés et la stabilité de la consommation de viande.
Malgré les preuves scientifiques, les discours dominants ont tendance à minorer les conséquences de l'activité humaine sur le climat et la biodiversité, ou à imaginer pouvoir les inverser.
Le réchauffement climatique est une épopée, celle de la mainmise de l'humanité sur la biosphère, d'une coupe réglée de la nature pour certains, de progrès technologiques majeurs pour d'autres. Nous sommes désormais dans l'ère de l'anthropocène. L'équilibre du « système Terre » a été durablement influencé, perturbé, déréglé par l'activité humaine. Une seule espèce, l'homme, met en péril l'ensemble de l'écosystème. L'universitaire Nathanaël Wallenhorst met à nu six discours sur le dépassement des limites planétaires (climat, biodiversité, ressources naturelles…) : le récit mensonger, celui des climatosceptiques ; le récit chinois, celui des autocrates ; le récit californien, celui des technophiles, libertariens ou pas ; le récit bisounours-mais-pas-que, celui des volontaristes ; le récit pervers, celui des politiques ; le récit alternatif, celui des écologistes activistes.
En 1976, le chimiste américain William Sheehan propose une nouvelle vision du tableau périodique des éléments de Mendeleïev, en représentant chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté. Science History Institute (Philadelphia)
La sobriété interroge notre rapport à la matérialité. Elle est souvent conçue comme la masse et la composition physico-chimique des choses extraites, produites et échangées ou des investissements réalisés qui s’oppose à leurs valeurs.
Mais une telle approche minimise le stock disponible, c’est-à-dire la quantité physiquement existante pour permettre que ces dynamiques de flux et d’échange puissent se mettre en place et se développer. Concevoir une matérialité dans une vision évolutive (comme l’extension du contrôle efficace des échanges) revient à maintenir une certaine vision de l’abondance de la ressource – ou tout au moins de l’extension de ses potentialités d’exploitation. Or, nous assistons plutôt à une raréfaction programmée de cette matérialité. Cette programmation résulte du prolongement des politiques de développement qui, inévitablement, conduiront à l’assèchement des ressources.
De nombreuses analyses mettant en évidence ce paradoxe ont déjà été réalisées. Une abondante littérature porte sur la disparition programmée des ressources fossiles et de ses conséquences catastrophiques sur nos « sociétés carbones ». Nous souhaitons insister sur le déploiement de mécanismes plus invisibles encore, qui rend plus compliqué le fait de saisir la relation de dépendance qui nous relie à eux, et montrer combien le « pic » concerne la quasi-totalité des matières avec lesquelles nous entretenons un rapport d’extraction.
En 1863, le chimiste Dmitri Mendeleev a classé 63 éléments chimiques naturels, connus à l’époque, qui composent tout ce qui nous entoure, et a publié, en 1869, le fameux « tableau périodique ». Depuis la classification s’est étoffée et il y a maintenant 118 éléments répertoriés, dont 90 sont présents dans la nature. Les autres sont pour la plupart des éléments super lourds qui ont été créés dans les laboratoires au cours des dernières décennies par des réactions nucléaires et qui se désintègrent rapidement en un ou plusieurs des éléments naturels.
En 1976, le chimiste américain William Sheehan offre une nouvelle vision de ce tableau. Il représente chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté, ce qui permet d’échapper à la présentation traditionnelle, où chacun d’entre eux est soigneusement rangé dans des petits carrés équivalents18.
On peut ainsi voir l’abondance de l’hydrogène (H), du carbone (C), de l’oxygène (O), d’une moindre profusion du phosphore (P) ou du calcium (Ca), et d’une très faible présence du lithium (Li) ou de l’argon (Ar), ou bien plus encore, de l’extrême pénurie du prométhium (Pm). Avec cette figuration, il souhaite signifier les possibilités d’exploitation de ces éléments, en fonction de leur profusion naturelle ou de leur création artificielle. Ce croquis, repris puis diffusé sur les réseaux numériques, connaît une amélioration graphique ; ainsi, le tableau a été codé par couleur pour indiquer la vulnérabilité plus ou moins grande des éléments.
Ce qui est ainsi mis en scène, c’est l’extension de la pression sur certains éléments non renouvelables. Bien sûr, cette présentation synthétique a fait l’objet de certaines critiques, dont l’une qui fait état de l’absence de connaissances globales sur l’état des ressources qui empêcheraient de mesurer avec précision le degré de disparition. Mais, elles ne remettent pas en cause l’inégale pression sur les ressources, ni l’intensification des tensions.
The European Chemical Society (EuChemS) s’inspire de ce travail et publie, en 2021, une nouvelle version de son « Element Scarcity – EuChemS Periodic Table ». Dans la plupart des cas, les éléments n’ont pas disparu. Mais, au fur et à mesure que nous les utilisons, ils se dispersent et sont beaucoup plus difficiles à récupérer. La dispersion rendra certains éléments beaucoup moins facilement disponibles dans cent ans ou moins – c’est le cas pour l’hélium (He), l’argent (Ag), le tellure (Te), le gallium (Ga), le germanium (Ge), le strontium (Sr), l’yttrium (Y), le zinc (Zn), l’indium (In), l’arsenic (As), l’hafnium (Hf) et le tantale (Ta). L’hélium est utilisé pour refroidir les aimants des scanners IRM et pour diluer l’oxygène pour la plongée sous-marine. 26 éléments du tableau de Mendeleïev, tels que l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc ou le phosphore seraient en voie d’épuisement. 6 autres ont une durée de vie utile prévue est inférieure à cent ans. Sur les 90 éléments, 31 portent un symbole de smartphone – reflétant le fait qu’ils sont tous contenus dans ces appareils.
Le tableau des éléments revu par The European Chemical Society pour souligner les aspects de raréfaction des ressources naturelles. Ici dans son édition pour 2023.European Chemical Society, CC BY-NC-ND
À partir de ce simple constat matériel, on voit combien le dépassement technologique est rendu illusoire à cause de la disparition progressive des ressources non renouvelables. Leur rareté devrait conduire à une modération dans leur usage. On retrouve ainsi le « stock de sable » : une quantité limitée, des possibilités d’innovations limitées en raison de la disparition programmée de certains éléments, ainsi que des combinaisons limitées… Et il faudra encore que les générations futures gèrent durablement ces pénuries.
Malgré cet état de fait, la transition écologique, notamment dans son volet énergétique, continue à promouvoir le développement de technologies vertes nécessitant l’utilisation intensive de ces ressources limitées. Il faut, quoi qu’il en coûte, maintenir la croissance, désormais flanquée du qualificatif « verte ». Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette croissance consiste « à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques ».
Une approche régénérative permet aux humains de co-évoluer avec les systèmes naturels qui les entourent et d’inverser les systèmes dégénératifs (Mang & Reed, 2013). En effet sa finalité c'est de permettre à un collectif de contribuer à un service écosystémique pour assister la nature dans sa capacité à se régénèrer. Ainsi l'économie régénérative va plus loin que l'économie de la fonctionnalité et l'économie circulaire qui ne régénèrent pas les ressources essentielles à la bonne santé des écosystèmes. D’après Guilbert del Marmol (2014a), « le futur de l’économie circulaire sera vivant, reconnecté avec la nature certes ; mais avant tout, il sera humain » (comprendre : les humains ne seront plus exclus de la nature et intégrés aux écosystèmes en tant qu'êtres vivants comme les autres).
Contrairement aux idées reçues, la plupart des conceptions de la nature incluent l’humain. art_inthecity/Flickr
Dans cette diversité, une représentation particulière de la nature est aujourd’hui souvent critiquée – et parfois caricaturée – par toute une génération de penseurs, dans le sillage de Philippe Descola et de Bruno Latour, en passant par la deep ecology d’Arne Naess.
Il s’agit de la nature vue comme opposée à l’humain (et donc à l’esprit, au politique, à l’histoire), une nature matérielle, passive et radicalement extérieure à nous.
Cette nature est appelée « naturaliste » ou « moderne » par ces auteurs, car elle semble typiquement occidentale : on l’envisage comme un simple réservoir de matières premières, que l’on vient exploiter ou contempler, mais toujours dans l’idée que les humains et leurs sociétés n’en font pas partie, se développant de leur côté, dans des espaces urbains ou agricoles qui relèveraient exclusivement de la « culture ».
Mais cette vision est-elle aussi hégémonique qu’on le croit ?
Un processus créatif qui nous embrasse
En fait, l’écrasante majorité des définitions de la nature, qu’on les cherche dans l’histoire occidentale ou dans les autres cultures, tend plutôt à inclure les humains dans la nature, et à voir dans celle-ci un processus créatif qui nous embrasse plutôt qu’un ensemble matériel inerte.
C’était d’ailleurs le cas dans la Grèce antique, où la phusis est un principe créateur de développement, dont l’humanité fait partie intégrante.
On retrouve une idée similaire dans l’étymologie de ses équivalents au sein de nombreuses langues, comme l’hindi prakṛti (qui signifie « prolifération »), le slave priroda (« génération »), le hongrois természet (« poussée végétale »), ou encore le finnois luonto (« puissance occulte »).
Finalement, seul le terme sémitique tabî’a (« marque imprimée ») exprime explicitement une vision fixiste et passive de la nature, qui semble très liée au monothéisme. Une vision très minoritaire, donc, mais qui a connu à travers les religions abrahamiques une extraordinaire expansion.
Conserver le « patrimoine » naturel
Cette définition de la nature comme ensemble extérieur et fixe a été historiquement mobilisée dans le cadre de la protection de la nature, calquée au XIXe siècle sur la protection du patrimoine ; on parlait alors souvent de la protection des « monuments naturels », ancêtre du concept de « patrimoine naturel ».
Dans cette optique, la protection de la nature devait adopter les techniques et buts de la conservation du patrimoine historique : entretenir un objet dans un état déterminé pour empêcher sa dégradation (toute évolution étant perçue comme telle), qu’il s’agisse d’une cathédrale ou d’une montagne.
On trouve cette vision chez les premiers conservationnistes américains de la génération de John Muir (1838-1914), et jusqu’à Aldo Leopold (1887-1948) ; l’objectif est de limiter les excès de la société industrielle, en la contraignant à laisser quelques espaces dans leur aspect initial tandis que l’exploitation se déchaîne ailleurs.
La rapidité avec laquelle les grands espaces de l’Amérique des pionniers disparaissaient alors sous la dent des promoteurs a motivé ces militants à conserver çà et là, en marge de l’exploitation galopante, des « ruines » de ce temps révolu de l’Amérique sauvage, vestiges d’une période mythique bientôt glorifiée dans la littérature – par James Fenimore Cooper notamment – puis plus tard le cinéma. La logique est ouvertement la même qu’avec les vestiges antiques de la vieille Europe.
Mais c’est aussi une vision qui n’a pratiquement de sens qu’en Amérique, où la colonisation a entraîné une conquête brutale, accompagnée par une idéologie créationniste qui suggère que les paysages sauvages ainsi consommés étaient demeurés intacts depuis l’origine du monde.
Préservationnisme vs conservationnisme
Cette conception d’une nature « mise sous cloche » a largement triomphé pendant une large partie du XXe siècle : on appelle ce courant le « préservationnisme », qui cherche à maintenir des zones préservées de toute activité humaine, dans un état qu’on voudrait croire « vierge ».
Il s’est opposé au « conservationnisme », compris comme usage rationnel et durable des ressources biologiques, en particulier le bois qui demeure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale une ressource stratégique. Gifford Pinchot, créateur du US Forestry Service, en fut aux États-Unis le symbole.
Ce sont donc déjà deux conceptions de la nature, et de sa protection, qui s’affrontent : l’une qui pense la nature pour l’être humain, et une autre qui pense humanité et nature comme deux mondes séparés.
En Europe, l’analyse que Martin Heidegger propose d’un barrage sur le Rhin, dans la Question de la technique (1954), confronte également deux conceptions de la nature qui épousent en partie cette dichotomie.
La nature – ici, le fleuve – est conçue d’une part comme un processus sauvage doté d’une agence propre, et d’autre part, sous l’angle du barrage, comme un « stock » permettant d’extraire de l’énergie.
Des labos à l’agriculture industrielle
La « nature » comme stock de ressources susceptible d’être réarrangé et réorganisé pour son exploitation se trouve justifiée sur le plan philosophique par Descartes, pour qui la nature existait partes extra partes : en parties étrangères les unes aux autres, et inanimées. Descartes défendait d’ailleurs l’idée que les animaux sont analogues à des machines : la nature est pour les cartésiens un grand mécanisme.
C’est encore de cette manière que les sciences de l’ingénieur – et partant de là, l’industrie – envisagent le monde. De fait, c’est sur la base de ce paradigme qu’elles ont transformé notre milieu de vie.
Cette conception « extractiviste » ou « productiviste » de la nature, vue comme ensemble de ressources inertes à « valoriser », est régulièrement prise à partie par l’écologisme, qui pour sa part cherche à replacer l’humain dans une nature envisagée comme un système complexe et dynamique, dont l’équilibre se trouve menacé par une exploitation aveugle à son fonctionnement subtil.
Si le socialisme s’est fixé pour but de combattre les ravages du paradigme industriel qui traite les humains comme des machines, l’écologisme fait de même avec la nature.
Car si la vision productiviste de la nature s’applique superficiellement bien aux ressources inanimées, qui forment l’essentiel de notre contact quotidien avec la nature, sous une forme transformée – plastiques (pétrole), béton (sable, calcaire), métaux (minerais), etc. – elle s’applique moins bien au vivant, dans la mesure où celui-ci est animé et inclus dans un réseau d’interactions, et ne peut être aisément manipulé sans entraîner des conséquences en chaîne qui dépassent souvent leur instigateur.
Pourtant, l’approche réductionniste (où la vie n’est envisagée que comme un phénomène physico-chimique), qui est souvent celle des sciences de laboratoire, demeure aussi celle de l’agriculture industrielle, qui peine à penser les conséquences indirectes de ses pratiques dans le temps et l’espace.
Cette approche est aussi à l’origine des limites de ce modèle : une agriculture qui extermine la biodiversité et détruit les sols ; sols qui, en dépit d’apports d’intrants toujours plus nombreux, finissent par se minéraliser et perdre leur fertilité…
Une nouvelle synthèse
Certains acteurs sociaux, à l’image du réseau de l’agriculture paysanne (FADEAR), sont porteurs d’une autre vision, dans laquelle les vivants (humains ou non) coexistent, coévoluent.
Sur le plan des idées, il s’agit de développer une écologie de la réconciliation, qui à l’instar des cultures non européennes replace l’humanité au cœur d’une nature parcourue de dynamiques, plutôt que face à un stock inerte comme l’Occident se l’est trop longtemps représentée.
Loin d’un retour en arrière, l’écologie propose plutôt une nouvelle synthèse.
Serge Moscovici, l’un des fondateurs de l’écologisme français, affirmait déjà dans les années 1960 que c’est la vision productiviste de la nature qui a donné naissance à l’écologie scientifique, et non l’inverse.
L’écologie scientifique procède en effet en cherchant à mettre la nature en équations, pour la penser non plus comme un ensemble de stocks, mais comme un système de flux dynamiques en interconnexion permanente.
Ces diverses conceptions de la nature cohabitent ou s’excluent selon les cas, et sont inscrites dans une succession qui suit l’évolution de la société et des défis qui s’opposent à elle – du point de vue ontologique, le vivant est à la fois vie, chimie et mécanisme.
Les raisons de mettre l’un ou l’autre en avant sont épistémiques, mais aussi éthiques : à partir du moment où l’humanité en fait intimement partie, la nature doit-elle être traitée simplement comme un moyen, ou aussi comme une fin en soi, pour reprendre la célèbre formule de Kant ?
Il est toutefois facile de comprendre pourquoi la définition mécaniste domine : elle reflète la majeure partie de nos interactions quotidiennes avec la nature, et c’est celle qui profite à l’économie industrielle.
Mais, on le constate quotidiennement, limiter notre vision du monde à une rationalité économique à court terme ne profite à personne et, au final, pas même à l’économie…
Manifestations à Nantes, en 2019. (Sebastien SALOM-GOMIS/AFP)
Faute de se projeter suffisamment dans l'avenir, notre pays est aujourd'hui au bord d'une crise profonde. Mais il n'est pas trop tard pour imaginer ce que sera notre société dans quelques années et faire en sorte de s'y préparer au mieux dès maintenant, espère Jacques Attali.
S'il est une leçon qu'on peut tirer du lamentable non-débat sur les retraites, c'est bien l'extraordinaire impréparation de la France, et plus largement de l'Europe, à la maîtrise des enjeux du long terme. Au point que le président de la République, qui a pourtant encore quatre longues années devant lui, ne propose au pays qu'un agenda pour trois mois.
Contrairement à d'autres pays, il n'existe en France aucune réflexion sérieuse sur ce que le pays pourra devenir en 2030, dans sept ans, c'est-à-dire demain matin ; et encore moins sur ce qu'il peut choisir de devenir en 2040 ou 2050.
L’ambition de la Fresque des Imaginaires c'est de faire émerger des imaginaires écologiques positifs, responsables et désirables. L’imagination c'est se donner la possibilité de regarder les choses comme si elles pouvaient être autres. C'est tout le sens de cette fresque des imaginaires qui invite les participants à adopter des modes de vie qui intègrent autant les contraintes écologiques que leurs souhaits de vie future. Notre relation à la nature structure nos représentations du réél et par conséquent nos modes de vie. Retisser des liens à soi, aux autres et à la nature permet de se projeter dans un futur ou il fait bon vivre. La fresque des imaginaires permet de se projeter dans le futur au fil de 4 relations à la nature qui inspirent les participants qui seront amené à réaliser des collages en groupe. Elle est thématique, par exemple : habiter sur terre en 2050. En savoir plus
Cessons d'opposer les enjeux environnementaux et économiques. Trouvons comment susciter la confiance nécessaire à cette transition collective. Les labels, certifications et scores comme l'eco score ou le planet score peuvent tracer des trajectoires d'amélioration et de réduction d'impacts.
Alors que le 5 mai nous avions déjà consommé nos ressources au delà de leur seuil de renouvellement naturel, vendredi 11 mai Emmanuel Macron appelle à une «pause» en matière de contraintes environnementales européennes. C’est le retour de l’éternel rapport de force entre transition écologique et croissance économique https://lnkd.in/eV6tFVKk
L’Assemblée nationale a adopté hier une résolution contre la « surtransposition de règles européennes dans l’agriculture ».https://lnkd.in/e6kNnjCv « Vous voilà à revendiquer le droit à tuer les abeilles, d’empoisonner la santé humaine, au nom du productivisme agricole », a tancé l’écologiste et ancienne ministre Delphine Batho, dénonçant une « capitulation face aux lobbys ».
La bataille industrielle se joue pourtant sur la transition écologique pour faire de l’environnement non une contrainte mais une opportunité d’innovation, de relocalisation et d’emplois. Yannick Jadot «Je crois qu’il s’agit d’une fausse route stratégique totale", tonne David Cormand "L’Europe est le premier marché mondial. Grâce à cela, elle a la capacité de prescrire les standards pour tout le monde.»
"Chez Nestlé, nous travaillons afin de réduire les émissions carbone liées à nos activités", a affirmé Mark Schneiderhttps://lnkd.in/ecHgnQRe Mais les industriels semblent bien loin d'une réduction effective de leurs impacts malgré des objectifs ambitieux annoncés pour 2030 - Carrefour, Nestlé on déjà été épinglées pour des plans "ambigus" de neutralité carbone https://lnkd.in/edANz6wu
Cette transition va se jouer dans des labels, des certifications et des scores comme l'eco score ou le planet score qui vont tracer des trajectoires d'amélioration et de réduction d'impacts.
Déjà grâce à Yuka on peut scanner les produits alimentaires et obtenir une information claire sur l'impact du produit sur la santé. D'après PestiLens - qui répertorie et qualifie TOUS les pesticides autorisés en France, chacun-e peut de façon simple et fiable consulter tous les pesticides autorisés par type d'agriculture : conventionnelle, certifiée HVE ou certifiée AB, et pour chaque pesticide, le seuil de toxicité (NOAEL), le risque cancérigène, etc. Voici ce que l'on découvre : Agriculture conventionnelle (source) : - nb de pesticides autorisés en France : 340 🤯 - dont 43 cancérogènes 🦠 - dont 1 mutagène (peut altérer la structure de l'ADN 😳) - dont 56 reprotoxiques (peuvent altérer la fertilité de l'homme ou de la femme 🫥)
Le planet score pourrait contribuer à la transition vers une agriculture sans pesticides, sans atteintes à la biodiversité, sans maltraitance animale, sans émissions incontrôlées de gaz à effets de serre.
👉Voilà un rapport de tendances sur les marques qui innovent avec des produits issus de l'agriculture régénérative en France…. La régénération est une piste ambitieuse qui vise a restaurer les ecosystèmes. Le stade ultime d'une entreprise responsable ayant déjà réduit ses impacts en particulier sa prédation sur le vivant. Les marques de ce rapport rendent des services écosystémiques : climat, sol, biodiversité, nutrition, goût, rémunération agriculteurs, bien être collaborateurs #ecoscore#planetscore#regeneration Elles impliquent leurs consommateurs dans leur transition directement dans les magasins là ou l'acte d'achat à lieu.
C'est notre réunion annuelle. On se retrouve entre planneurs stratégiques. Etudiants et curieux bienvenus. Format pic nic sur les quais de l'ile saint louis et si mauvais temps repli dans un appartement sur l'ile saint louis. Merci d'amener de quoi boire et/ou manger.
Le club du planning stratégique permet aux planneurs stratégiques d'échanger des idées, des outils et de se rencontrer.
Les contacts entre l’écologique scientifique et les diverses sciences humaines et sociales produisent (et le mouvement est loin d’être achevé) des effets qui concernent à la fois les objets de ces sciences, créant ainsi des sous-disciplines
L’enquête de C. Larrère, cherche en particulier à mettre en évidence le type de lien qui peut unir théories morales et savoirs issus de l’écologie scientifique. Elle ne se contente pas d’odes philosophiques à la nature, mais porte son regard sur les approches qui manifestent le souci d’une information « scientifique ». En effet, depuis Aldo Leopold et son Almanach d’un comté des sables (1949), s’est imposée l’idée qu’il importait d’ajouter à une « écologie à la première personne » (telle celle d’Henry David Thoreau ou de Ralph Waldo Emerson) une « écologie à la troisième personne » (p. 101), informée des savoirs de l’écologie scientifique. Dans ce cadre, les théories morales qui entendent s’appuyer sur des savoirs écologiques oscillent entre une pensée de l’équilibre (harmonie, symbiose, etc.) et une autre pour laquelle la perturbation est la règle dans la nature, alors que l’équilibre ne serait que provisoire. Pour C. Larrère, ces savoirs scientifiques, sur lesquels sont censés se fonder les théories morales, peuvent donc être l’objet d’une diversité d’interprétations, ce qui met en cause l’idée d’un lien logique pur entre théories morales et savoirs écologiques. Dès lors, les implications dont il peut être question pour qualifier ces liens désignent moins des conséquences logiques qu’« une mise en cohérence entre un ensemble hétérogène de convictions et de savoirs » (p. 109). Pour l’auteure, cela signifie, d’une part, qu’un « travail constant d’information » (p. 114) sur ces savoirs et d’ajustement par rapport à eux est à l’œuvre, d’autre part, qu’un retour à l’écologie à la première personne est aussi nécessaire − s’informer des savoirs écologiques n’exonère pas de formes d’engagement personnel. En ce qui concerne les chapitres interdisciplinaires, Wolf Feuerhahn s’intéresse aux « catégories de l’entendement écologique » en menant une patiente exploration des implications des termes employés au sein de l’académie pour désigner l’environnement. Celui de « milieu », en particulier, dessine un trajet politique passionnant : depuis l’acception déterministe forgée par Hippolyte Taine au XIXe siècle, combattue au début du siècle suivant par Jakob von Uexküll à travers l’imposition du terme « Umwelt » (un produit de l’organisme et non une imposition extérieure), à sa réhabilitation plus « démocratique » dans les années 1940 par Leo Spitzer (qui propose « ambiance ») et Georges Canguilhem (qui conserve « Umwelt »). Parallèlement, « milieu » est aussi le terme de l’affrontement entre la géographie et la sociologie françaises naissantes : Paul Vidal de la Blache fait de la géographie la science des influences du milieu local ou ambiant, tandis qu’Émile Durkheim lui oppose un milieu social surplombant, censément bien plus complexe que le seul « facteur tellurique » par lequel il moquait les géographes. Depuis quelques années, à la suite de Gilbert Simondon et de Gilles Deleuze notamment, « milieu » revient, lesté du déterminisme et du caractère surplombant ou universel, pour désigner un environnement et des expériences nécessairement situées. De son côté, Grégory Quenet s’intéresse à ce « nouveau champ d’organisation de la recherche » que constituent les « humanités environnementales », dont il explore la dimension d’« organisation des savoirs » (p. 256), liée au contexte plus général du financement de la recherche par projets. Si les humanités environnementales peuvent s’appuyer sur des instituts créés ad hoc et des fondations privées, voire accéder aux crédits (plus importants) des sciences dures, il note que cela a aussi pour conséquence de décupler la précarisation des jeunes chercheurs.
L’anthropocène met en cause le paradigme qui a guidé la modernité. C’est l’occasion d’en définir un autre. L’objet de ce colloque n’est pas de revenir sur le concept d’anthropocène ; c’est de proposer, avec la mésologie, la définition d’un autre paradigme que celui de la modernité. Pour la mésologie en effet, l’être humain n’est pas seul à être un sujet ; tous les vivants le sont à des degrés divers. L’environnement n’est donc pas une mécanique objectale, c’est l’interrelation complexe des mondes propres à tous ces sujets, pour chacun desquels la réalité n’est jamais un donné universel, mais un milieu singulier, lequel ne cesse de se construire corrélativement à ces sujets eux-mêmes. Le colloque sondera les perspectives ouvertes par ce paradigme, de la philosophie des sciences à l’aménagement humain de la Terre.
Nous sommes entrés dans une ère où les effets de l’action humaine sur la planète deviennent géologiquement significatifs. Quelle que soit la date à laquelle il est possible de faire remonter cette nouvelle ère, les bouleversements sont d’une ampleur inédite et potentiellement irréversibles à l’échelle humaine. Face à ces bouleversements, la mésologie telle que repensée à travers les recherches du géographe orientaliste Augustin Berque invite à un nouveau paradigme, dépassant le dualisme mécaniste qui a fondé la modernité. Comment les sciences actuelles – celles dites exactes autant que les sciences humaines et sociales – peuvent-elles s’en nourrir pour repenser les interactions entre la planète et les êtres humains et proposer des perspectives à notre société actuelle et à venir ? Telle est la question à laquelle cet ouvrage cherche à apporter des réponses. Organisé autour de trois thématiques (« Notions et théories de la mésologie », « Champs du déploiement de la mésologie », « Mutations des milieux humains et non humains »), il reprend les interventions et les synthèses des débats du colloque La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? qui s’est déroulé au château de Cerisy-la-Salle du 30 août au 6 septembre 2017 autour des travaux d’Augustin Berque. source
Il faut savoir que la notion de mésologie date de 1848. Un disciple d'Auguste Comte, Charles Robin, médecin, la propose pour prendre en compte le vivant en général, y compris l'humain. Cette mésologie aurait été une médecine et en même temps ce que sont devenues l'écologie et la sociologie. Si cette mésologie a échoué, c'est à mon avis parce qu'elle s'était donné un champ trop vaste pour cette science qui se voulait positiviste, ce qui ne pouvait manquer de déboucher sur un déterminisme, une simplification outrancière. Et effectivement, cette mésologie a débouché sur un déterminisme, cela au moment où Larousse accordait une place éminente à la notion de milieu dans son grand dictionnaire, au début de la III° République. L'écologie naît aussi à cette époque (1866), mais en tant que science de la nature cette fois, tandis que se développait également l'école française de géographie, dont l'orientation principale est le possibilisme, un anti-déterminisme donc La géographie naissante ne pouvait donc pas adopter cette mésologie déterministe. Il est instructif de voir comment la mésologie disparaît petit à petit des dictionnaires (elle est en 1906 dans le premier Petit Larousse, qui la définit comme « partie de la biologie qui traite des rapports des milieux et des organismes »). Le milieu, dans cette acception-là, est un objet pour la science que l'on approche par l'abstraction du sujet. Ce n'est pas du tout l'optique dans laquelle je me place, et qui suit les deux pères fondateurs que sont Uexküll et Watsuji. Le sujet vivant, et plus particulièrement le sujet humain, se place ici au centre de la problématique, car c'est en fonction de lui que les choses apparaissent comme ce qu'elles sont concrètement. Cela renverse le paradigme moderne du xviie, qui a au contraire abstrait l'existence du sujet de la réalité des choses, pour en faire de purs objets. Ce recentrement, Uexküll l'a accompli avec les méthodes de la science, en montrant que les animaux ne sont pas des machines mais des mécaniciens. Il a développé ses recherches au moment même où régnait le behaviorisme, auquel il s'est opposé frontalement, car le behaviorisme ne considère dans le vivant qu'une mécanique, mue par un jeu de stimuli/réponses, au lieu d'une interprétation spécifique de la réalité environnante. source