L’anthropocène met en cause le paradigme qui a guidé la modernité. C’est l’occasion d’en définir un autre. L’objet de ce colloque n’est pas de revenir sur le concept d’anthropocène ; c’est de proposer, avec la mésologie, la définition d’un autre paradigme que celui de la modernité. Pour la mésologie en effet, l’être humain n’est pas seul à être un sujet ; tous les vivants le sont à des degrés divers. L’environnement n’est donc pas une mécanique objectale, c’est l’interrelation complexe des mondes propres à tous ces sujets, pour chacun desquels la réalité n’est jamais un donné universel, mais un milieu singulier, lequel ne cesse de se construire corrélativement à ces sujets eux-mêmes. Le colloque sondera les perspectives ouvertes par ce paradigme, de la philosophie des sciences à l’aménagement humain de la Terre.
Nous sommes entrés dans une ère où les effets de l’action humaine sur la planète deviennent géologiquement significatifs. Quelle que soit la date à laquelle il est possible de faire remonter cette nouvelle ère, les bouleversements sont d’une ampleur inédite et potentiellement irréversibles à l’échelle humaine. Face à ces bouleversements, la mésologie telle que repensée à travers les recherches du géographe orientaliste Augustin Berque invite à un nouveau paradigme, dépassant le dualisme mécaniste qui a fondé la modernité. Comment les sciences actuelles – celles dites exactes autant que les sciences humaines et sociales – peuvent-elles s’en nourrir pour repenser les interactions entre la planète et les êtres humains et proposer des perspectives à notre société actuelle et à venir ? Telle est la question à laquelle cet ouvrage cherche à apporter des réponses. Organisé autour de trois thématiques (« Notions et théories de la mésologie », « Champs du déploiement de la mésologie », « Mutations des milieux humains et non humains »), il reprend les interventions et les synthèses des débats du colloque La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ? qui s’est déroulé au château de Cerisy-la-Salle du 30 août au 6 septembre 2017 autour des travaux d’Augustin Berque. source
Il faut savoir que la notion de mésologie date de 1848. Un disciple d'Auguste Comte, Charles Robin, médecin, la propose pour prendre en compte le vivant en général, y compris l'humain. Cette mésologie aurait été une médecine et en même temps ce que sont devenues l'écologie et la sociologie. Si cette mésologie a échoué, c'est à mon avis parce qu'elle s'était donné un champ trop vaste pour cette science qui se voulait positiviste, ce qui ne pouvait manquer de déboucher sur un déterminisme, une simplification outrancière. Et effectivement, cette mésologie a débouché sur un déterminisme, cela au moment où Larousse accordait une place éminente à la notion de milieu dans son grand dictionnaire, au début de la III° République. L'écologie naît aussi à cette époque (1866), mais en tant que science de la nature cette fois, tandis que se développait également l'école française de géographie, dont l'orientation principale est le possibilisme, un anti-déterminisme donc La géographie naissante ne pouvait donc pas adopter cette mésologie déterministe. Il est instructif de voir comment la mésologie disparaît petit à petit des dictionnaires (elle est en 1906 dans le premier Petit Larousse, qui la définit comme « partie de la biologie qui traite des rapports des milieux et des organismes »). Le milieu, dans cette acception-là, est un objet pour la science que l'on approche par l'abstraction du sujet. Ce n'est pas du tout l'optique dans laquelle je me place, et qui suit les deux pères fondateurs que sont Uexküll et Watsuji. Le sujet vivant, et plus particulièrement le sujet humain, se place ici au centre de la problématique, car c'est en fonction de lui que les choses apparaissent comme ce qu'elles sont concrètement. Cela renverse le paradigme moderne du xviie, qui a au contraire abstrait l'existence du sujet de la réalité des choses, pour en faire de purs objets. Ce recentrement, Uexküll l'a accompli avec les méthodes de la science, en montrant que les animaux ne sont pas des machines mais des mécaniciens. Il a développé ses recherches au moment même où régnait le behaviorisme, auquel il s'est opposé frontalement, car le behaviorisme ne considère dans le vivant qu'une mécanique, mue par un jeu de stimuli/réponses, au lieu d'une interprétation spécifique de la réalité environnante. source