Les contacts entre l’écologique scientifique et les diverses sciences humaines et sociales produisent (et le mouvement est loin d’être achevé) des effets qui concernent à la fois les objets de ces sciences, créant ainsi des sous-disciplines
L’enquête de C. Larrère, cherche en particulier à mettre en évidence le type de lien qui peut unir théories morales et savoirs issus de l’écologie scientifique. Elle ne se contente pas d’odes philosophiques à la nature, mais porte son regard sur les approches qui manifestent le souci d’une information « scientifique ». En effet, depuis Aldo Leopold et son Almanach d’un comté des sables (1949), s’est imposée l’idée qu’il importait d’ajouter à une « écologie à la première personne » (telle celle d’Henry David Thoreau ou de Ralph Waldo Emerson) une « écologie à la troisième personne » (p. 101), informée des savoirs de l’écologie scientifique. Dans ce cadre, les théories morales qui entendent s’appuyer sur des savoirs écologiques oscillent entre une pensée de l’équilibre (harmonie, symbiose, etc.) et une autre pour laquelle la perturbation est la règle dans la nature, alors que l’équilibre ne serait que provisoire. Pour C. Larrère, ces savoirs scientifiques, sur lesquels sont censés se fonder les théories morales, peuvent donc être l’objet d’une diversité d’interprétations, ce qui met en cause l’idée d’un lien logique pur entre théories morales et savoirs écologiques. Dès lors, les implications dont il peut être question pour qualifier ces liens désignent moins des conséquences logiques qu’« une mise en cohérence entre un ensemble hétérogène de convictions et de savoirs » (p. 109). Pour l’auteure, cela signifie, d’une part, qu’un « travail constant d’information » (p. 114) sur ces savoirs et d’ajustement par rapport à eux est à l’œuvre, d’autre part, qu’un retour à l’écologie à la première personne est aussi nécessaire − s’informer des savoirs écologiques n’exonère pas de formes d’engagement personnel. En ce qui concerne les chapitres interdisciplinaires, Wolf Feuerhahn s’intéresse aux « catégories de l’entendement écologique » en menant une patiente exploration des implications des termes employés au sein de l’académie pour désigner l’environnement. Celui de « milieu », en particulier, dessine un trajet politique passionnant : depuis l’acception déterministe forgée par Hippolyte Taine au XIXe siècle, combattue au début du siècle suivant par Jakob von Uexküll à travers l’imposition du terme « Umwelt » (un produit de l’organisme et non une imposition extérieure), à sa réhabilitation plus « démocratique » dans les années 1940 par Leo Spitzer (qui propose « ambiance ») et Georges Canguilhem (qui conserve « Umwelt »). Parallèlement, « milieu » est aussi le terme de l’affrontement entre la géographie et la sociologie françaises naissantes : Paul Vidal de la Blache fait de la géographie la science des influences du milieu local ou ambiant, tandis qu’Émile Durkheim lui oppose un milieu social surplombant, censément bien plus complexe que le seul « facteur tellurique » par lequel il moquait les géographes. Depuis quelques années, à la suite de Gilbert Simondon et de Gilles Deleuze notamment, « milieu » revient, lesté du déterminisme et du caractère surplombant ou universel, pour désigner un environnement et des expériences nécessairement situées. De son côté, Grégory Quenet s’intéresse à ce « nouveau champ d’organisation de la recherche » que constituent les « humanités environnementales », dont il explore la dimension d’« organisation des savoirs » (p. 256), liée au contexte plus général du financement de la recherche par projets. Si les humanités environnementales peuvent s’appuyer sur des instituts créés ad hoc et des fondations privées, voire accéder aux crédits (plus importants) des sciences dures, il note que cela a aussi pour conséquence de décupler la précarisation des jeunes chercheurs.