
En 1976, le chimiste américain William Sheehan propose une nouvelle vision du tableau périodique des éléments de Mendeleïev, en représentant chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté. Science History Institute (Philadelphia)
La sobriété interroge notre rapport à la matérialité. Elle est souvent conçue comme la masse et la composition physico-chimique des choses extraites, produites et échangées ou des investissements réalisés qui s’oppose à leurs valeurs.
Mais une telle approche minimise le stock disponible, c’est-à-dire la quantité physiquement existante pour permettre que ces dynamiques de flux et d’échange puissent se mettre en place et se développer. Concevoir une matérialité dans une vision évolutive (comme l’extension du contrôle efficace des échanges) revient à maintenir une certaine vision de l’abondance de la ressource – ou tout au moins de l’extension de ses potentialités d’exploitation. Or, nous assistons plutôt à une raréfaction programmée de cette matérialité. Cette programmation résulte du prolongement des politiques de développement qui, inévitablement, conduiront à l’assèchement des ressources.
De nombreuses analyses mettant en évidence ce paradoxe ont déjà été réalisées. Une abondante littérature porte sur la disparition programmée des ressources fossiles et de ses conséquences catastrophiques sur nos « sociétés carbones ». Nous souhaitons insister sur le déploiement de mécanismes plus invisibles encore, qui rend plus compliqué le fait de saisir la relation de dépendance qui nous relie à eux, et montrer combien le « pic » concerne la quasi-totalité des matières avec lesquelles nous entretenons un rapport d’extraction.
En 1863, le chimiste Dmitri Mendeleev a classé 63 éléments chimiques naturels, connus à l’époque, qui composent tout ce qui nous entoure, et a publié, en 1869, le fameux « tableau périodique ». Depuis la classification s’est étoffée et il y a maintenant 118 éléments répertoriés, dont 90 sont présents dans la nature. Les autres sont pour la plupart des éléments super lourds qui ont été créés dans les laboratoires au cours des dernières décennies par des réactions nucléaires et qui se désintègrent rapidement en un ou plusieurs des éléments naturels.
En 1976, le chimiste américain William Sheehan offre une nouvelle vision de ce tableau. Il représente chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté, ce qui permet d’échapper à la présentation traditionnelle, où chacun d’entre eux est soigneusement rangé dans des petits carrés équivalents18.
On peut ainsi voir l’abondance de l’hydrogène (H), du carbone (C), de l’oxygène (O), d’une moindre profusion du phosphore (P) ou du calcium (Ca), et d’une très faible présence du lithium (Li) ou de l’argon (Ar), ou bien plus encore, de l’extrême pénurie du prométhium (Pm). Avec cette figuration, il souhaite signifier les possibilités d’exploitation de ces éléments, en fonction de leur profusion naturelle ou de leur création artificielle. Ce croquis, repris puis diffusé sur les réseaux numériques, connaît une amélioration graphique ; ainsi, le tableau a été codé par couleur pour indiquer la vulnérabilité plus ou moins grande des éléments.
Ce qui est ainsi mis en scène, c’est l’extension de la pression sur certains éléments non renouvelables. Bien sûr, cette présentation synthétique a fait l’objet de certaines critiques, dont l’une qui fait état de l’absence de connaissances globales sur l’état des ressources qui empêcheraient de mesurer avec précision le degré de disparition. Mais, elles ne remettent pas en cause l’inégale pression sur les ressources, ni l’intensification des tensions.
The European Chemical Society (EuChemS) s’inspire de ce travail et publie, en 2021, une nouvelle version de son « Element Scarcity – EuChemS Periodic Table ». Dans la plupart des cas, les éléments n’ont pas disparu. Mais, au fur et à mesure que nous les utilisons, ils se dispersent et sont beaucoup plus difficiles à récupérer. La dispersion rendra certains éléments beaucoup moins facilement disponibles dans cent ans ou moins – c’est le cas pour l’hélium (He), l’argent (Ag), le tellure (Te), le gallium (Ga), le germanium (Ge), le strontium (Sr), l’yttrium (Y), le zinc (Zn), l’indium (In), l’arsenic (As), l’hafnium (Hf) et le tantale (Ta). L’hélium est utilisé pour refroidir les aimants des scanners IRM et pour diluer l’oxygène pour la plongée sous-marine. 26 éléments du tableau de Mendeleïev, tels que l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc ou le phosphore seraient en voie d’épuisement. 6 autres ont une durée de vie utile prévue est inférieure à cent ans. Sur les 90 éléments, 31 portent un symbole de smartphone – reflétant le fait qu’ils sont tous contenus dans ces appareils.

Le tableau des éléments revu par The European Chemical Society pour souligner les aspects de raréfaction des ressources naturelles. Ici dans son édition pour 2023. European Chemical Society, CC BY-NC-ND
À partir de ce simple constat matériel, on voit combien le dépassement technologique est rendu illusoire à cause de la disparition progressive des ressources non renouvelables. Leur rareté devrait conduire à une modération dans leur usage. On retrouve ainsi le « stock de sable » : une quantité limitée, des possibilités d’innovations limitées en raison de la disparition programmée de certains éléments, ainsi que des combinaisons limitées… Et il faudra encore que les générations futures gèrent durablement ces pénuries.
Malgré cet état de fait, la transition écologique, notamment dans son volet énergétique, continue à promouvoir le développement de technologies vertes nécessitant l’utilisation intensive de ces ressources limitées. Il faut, quoi qu’il en coûte, maintenir la croissance, désormais flanquée du qualificatif « verte ». Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette croissance consiste « à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques ».
Le business modele canvas de l economie regenerative
Une approche régénérative permet aux humains de co-évoluer avec les systèmes naturels qui les entourent et d’inverser les systèmes dégénératifs (Mang & Reed, 2013). En effet sa finalité c'est de permettre à un collectif de contribuer à un service écosystémique pour assister la nature dans sa capacité à se régénèrer. Ainsi l'économie régénérative va plus loin que l'économie de la fonctionnalité et l'économie circulaire qui ne régénèrent pas les ressources essentielles à la bonne santé des écosystèmes. D’après Guilbert del Marmol (2014a), « le futur de l’économie circulaire sera vivant, reconnecté avec la nature certes ; mais avant tout, il sera humain » (comprendre : les humains ne seront plus exclus de la nature et intégrés aux écosystèmes en tant qu'êtres vivants comme les autres).