À l’heure où il s’agit de développer une économie hautement soutenable et régénératrice, le changement comptable apparaît dès lors comme un enjeu majeur. De puissantes forces sont à l’œuvre pour maintenir l’ordre existant au prix d’une récupération de la critique du modèle capitaliste sous la forme d’un recyclage de son modèle comptable à travers des dispositifs comptables cérémoniels.
"Selon Gérald Naro et Alexandre Rambaud, la perspective d’une soutenabilité forte est fondée sur l’idée que les différentes formes de capital économique, humain et naturel sont complémentaires et non interchangeables. Certaines fonctions que le nature apporte, sont irremplaçables. La lecture de l’article de Carn et Vuattoux suggère qu’il en est de même pour les humains et leurs relations.
Or la comptabilité à l’ère de l’anthropocène s’inscrit dans la vision ontologique et cosmologique de la modernité basée sur une dissociation originelle entre l’humanité et la nature, dans laquelle l’homme « maître et possesseur de la nature », inscrit sa destinée dans une dynamique croissante de progrès économique et technologique, qui procède par le prélèvement et l’épuisement des ressources. C’est dans cette finalité d’accumulation du capital financier qu’a été conçu et que s’est développé notre modèle comptable contemporain.
Le débat actuel sur les normes de reporting ESG, entre une vision étasunienne en simple matérialité défendue par l’ISSB et une vision européenne orientée vers la double matérialité, en témoigne. Or, c’est bien dans le sens d’une double matérialité que devraient s’orienter les modèles comptables dans la perspective d’une soutenabilité forte.
Cela ne peut passer que par un changement de paradigmes et par le développement de recherches normatives ouvrant la voie à des pratiques comptables qui intègrent dans leurs modèles la préservation du capital humain et du capital naturel, envisagés dès lors en tant que finalités et non plus comme des ressources à consommer jusqu’à leur épuisement.
Dans leur article, Clément Carn et Jean-Christophe Vuattoux partent du constat selon lequel la prise en compte de l’humain en comptabilité présente une lecture ambiguë de l’humain, entre force productive et ressource à préserver. En illustrant leur argumentation par la gestion des risques psycho-sociaux, ils proposent une triple lecture du concept de capital humain.
Une première approche économiciste envisage le travailleur comme un facteur de production, tandis qu’une approche contractualiste de la comptabilité sociale en simple matérialité financière conçoit l’humain sur la base d’une analyse risques-opportunités dont l’enjeu fondamental demeure la performance de l’organisation. Dans les deux cas, la démarche de définition ontologique reste fondamentalement la même et l’on s’inscrit dans une objectivation et une réification de l’humain.
Au-delà de ces deux approches classiques, les auteurs nous invitent alors à une troisième lecture fondée sur une ontologie relationnelle de l’humain dans laquelle il s’agit de parvenir à se désencastrer de la logique individualiste pour déconstruire les représentations du capital humain et envisager un projet d’émancipation.
Pour Clément Carn et Jean-Christophe Vuattoux, il s’agit ainsi d’opérer un renversement ontologique par lequel l’individu ne se trouve plus défini en soi, mais par un ensemble de relations qui évoluent au travers du temps. L’essence du travailleur n’a donc pas à être proposée préalablement à la relation avec l’entreprise, mais au regard de la relation avec l’entreprise.
Dans leur article sur la place de dispositifs comptables dans les projets d’économie circulaire, Chaymaa Rabih et Nicolas Antheaume s’intéressent à un autre type de quantification qui est celui de l’économie circulaire. L’étude vise ainsi toutes les formes de comptabilité qui permettent de compter et de rendre des comptes dans le cadre des projets d’économie circulaire (incluant la comptabilité financière, les tableaux de bords, les indicateurs de mesure sociaux et environnementaux, etc.) tels qu’ils peuvent être assemblés dans un dispositif. Sur le terrain de trois cas de projets locaux d’économie circulaire mis en œuvre par des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS), ils étudient la place que peuvent prendre les dispositifs comptables dans des projets socio-circulaires locaux.
Les résultats de l’étude révèlent un réel besoin d’études normatives portant notamment sur la définition d’indicateurs. Là encore, par la mise en œuvre de dispositifs comptables, il s’agit bien de compter, rendre compte et faire compter, l’économie circulaire à l’heure où les enjeux écologiques liés au franchissement des limites planétaires révèlent l’urgence d’une soutenabilité forte fondée sur une économie régénératrice.
Ce à quoi il convient d'ajouter : un changement de business model.
L’économie régénérative repose sur l’économie de la mutualité pour poser un cap contributif à une coalition d’acteurs à visée régénérative réunie au delà du seul profit économique. « Nous savons que les entreprises ont besoin de capital financier, mais elles ont également besoin d’autres formes de capital, comme le capital humain, social et naturel. Alors pourquoi maximiserions-nous la production de capital financier aux dépens des autres ? Nous savons également que la création de capital financier repose sur des relations de pouvoir. Mais que se passerait-il si nous essayions plutôt un système où la relation est basée sur des relations mutuelles ? » Bruno Roche Economics Of mutuality
Toute activité économique suppose un avantage mutuel et un optimum économique peut se définir comme une situation dans laquelle l’avantage individuel des parties est maximisé pour un surplus mutuel maximum. L’analyse économique de l’avantage mutuel ouvre le champ d’une théorie économique mutualiste alternative à la théorie économique standard. Pour une théorie économique mutualiste, profit versus surplus mutuel
Cette recherche de l’avantage mutuellement bénéfique tire le fil de l’entreprise à mission en permettant de poser une ambition régénérative avec l’ensemble des parties prenantes d’une activité économique. L’impact positif individuel sera maximisé par l’action régénérative collective. Collective Impact
Cet impact collectif nécessite un autre niveau de collaboration et un processus structuré qui mène à un programme commun, un ensemble de pratiques partagées et des actions régénératives se renforçant mutuellement entre tous les acteurs de cette coalition à visée régénérative.
Le Business Model Canvas de l’Entreprise Régénérative – le REGEN BMC de Nous Sommes Vivants – permet d’identifier le nouveau produit / service à lancer dans une démarche régénérative mutuellement bénéfique avec un ensemble de parties prenantes. Ou à une collectivité locale de réunir les acteurs du territoire autour d’un acteur économique. En savoir plus
Le business model canvas de l'entreprise régénérative