Merci Alizée EYCHENNE et Flore Moreau de tendre le micro à des acteurs engagés dans la régénération du vivant. Dans cet épisode de "𝗹'𝗘𝗻𝘁𝗿𝗲𝗽𝗿𝗶𝘀𝗲 𝗖𝗼𝗻𝘀𝗰𝗶𝗲𝗻𝘁𝗲 : Vers un modèle régénératif", je présente la régénération comme la capacité du vivant à atteindre son plein potentiel et encourage à oser imaginer comment contribuer au vivant en se projetant dans un bien vivre tous ensemble sur terre avec optimisme, voire même avec joie. Courage !
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Comment penser l’écologie aujourd’hui ? Quels sont les intellectuels qui comptent dans les différentes sphères de réflexion de l’environnement, du climat et de la biodiversité ? Quelles nouvelles idées émergent, au-delà des chapelles, depuis l’ultra-gauche écolo jusqu’à la droite environnementaliste, en passant par les artistes et les théologiens ? Quels livres faudrait-il lire ? L’équipe de « Soft Power » sur France Culture propose sa petite bibliothèque idéale de l’écologie.
Cette cartographie de la vie des idées en matière d’écologie, de climat et de biodiversité a été préparée comme le prolongement d’une émission du même titre pour « Soft Power » sur France Culture (podcast ici). Si notre liste se veut plurielle et pluraliste, elle ne vise évidemment pas l’exhaustivité. Nous en connaissons les limites (trop française, trop « progressiste », trop masculine) malgré nos efforts. Nous avons également privilégié les penseurs qui s’inscrivent dans les thématiques de l’émission (numérique, culture, influence, soft power). Vous pouvez nous contacter pour nous proposer des compléments. Nous mettrons à jour régulièrement cette « bibliothèque idéale de l’écologie ».
Lire aussi notre enquête sur la politique culturelle des Verts à Grenoble.
Les précurseurs
Lucrèce. Le poète et penseur latin défend l’idée que penser la nature implique de la dé-mythologiser. Il faut débarrasser la pensée de la nature de tout ce que l’anthropomorphisme a produit comme superstitions et croyances et qui empêchent de véritablement la penser. Dans ce chef d’œuvre qu’est De rerum natura (De la nature), Lucrèce montre que la nature, dans l’imaginaire de l’époque, revêt un caractère sacré constitutif de toute pensée sur la nature. Selon lui, la nature est dynamisme, production d’ordres où les hommes ont une place. Il développe un système dans lequel la nature, en tant qu’elle est imparfaite, ne peut provenir d’une divinité. Il s’agit dès lors de la désacraliser pour en comprendre le principe et le sens. [NMM]
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Le philosophe et écrivain de Genève est l’un des premiers « penseurs » de la nature et un père de l’écologie moderne. Sur le plan théorique (Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, dit « Second Discours ») comme dans le registre littéraire (Les Rêveries du promeneur solitaire, Les Confessions), il a défendu une relation harmonieuse entre l’humanité et la nature. Dans le « Second discours », Rousseau fait le procès d’une société qui a perverti l’homme, lequel aurait été « bon » dans « l’état de nature », avant la propriété privée et le marché. Toute son œuvre (y compris Émile et La Nouvelle Héloïse) place la nature au cœur des modalités humaines, jusque dans l’éducation ou les relations amoureuses. L’animal est lui-même pensé comme « machine ingénieuse ». Sur la tombe du philosophe est gravé : « Ici repose l’homme de la nature et de la vérité ». (Voir : Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique ; Tzvetan Todorov, Frêle bonheur, Essai sur Rousseau ; et Philippe Roch, Dialogue avec Jean-Jacques Rousseau sur la nature). [FM]
Ralph Waldo Emerson (1803-1882). Poète et philosophe américain, Emerson se distingue du romantisme européen (Schelling, Fichte, Cousin, etc.), pour lequel Dieu est présent dans la nature à l’état de trace, de ruines. Dès 1986 dans Nature, Emerson développe un romantisme panthéiste : Dieu est présent activement au sein de la nature, pensée comme l’expression de sa création, le lieu privilégié pour comprendre ce qu’elle est et la place que l’homme y tient. Philosophe principal du « transcendantalisme », Emerson cherche à entrer en communion avec la nature et le grand tout qu’elle compose, dans une mystique dépouillée et puritaine, notamment dans ses Poems (1847). (Écouter ce podcast) [EM]
Henry David Thoreau (1817-1862). Poète émerveillé par la nature, naturaliste l’observant minutieusement, il façonne l’idée d’une « simplicité volontaire » contre les dévoiements de la société marchande, annonçant la pensée de la décroissance : « Un homme est riche des choses dont il peut se passer ». Walden ou la Vie dans les bois (1854), le célèbre récit de sa retraite dans une cabane au bord d’un lac, à l’écart de la société, a eu une grande influence non seulement sur la philosophie environnementale, mais aussi sur la politique de préservation des parcs naturels aux États-Unis dès la seconde moitié du XIXe siècle. (Écouter ce podcast) [EM]
Rosa Luxemburg (1871-1919). Dans l’une de ses lettres de prison du 2 mai 1917, la militante incarcérée fait part à Sophie Liebknecht de ses lectures, « des ouvrages de sciences naturelles : botanique et zoologie », et de son émotion face à la disparition des oiseaux chanteurs en Allemagne : « Je n’ai pas tellement pensé au chant des oiseaux et à ce qu’il représente pour les hommes, mais je n’ai pu retenir mes larmes à l’idée d’une disparition silencieuse, irrémédiable de ces petites créatures sans défense. » Mettant en parallèle cet évanouissement animal et la lente et silencieuse mort des Peaux-Rouges en Amérique du Nord, chassés de leur territoire, Rosa Luxembourg invite, en quelques lignes frappantes, à prendre en considération tous les dépeuplements inaudibles, humains ou animaux, qui ont cours à la surface de la Terre. [EM]
Gandhi (1869-1948). Dès ses années sud-africaines, Gandhi affirme son souci de la nature et de l’animal : il est végétarien (et le plus souvent vegan), multiplie les jeûnes, s’habille simplement d’une dhoti et construit son existence sur une grande austérité. En union avec la nature, il s’attache à un mode de vie brahmacharya, où cet ascétisme général se double de la chasteté. Dans ses livres et son autobiographie, il s’est voulu un militant végétarien (pour des raisons spirituelles, mais également politiques et économiques) et a critiqué les sociétés occidentales ou rejeté les théories du développement. Mais au-delà de ses idées directement « écologiques », l’influence de Gandhi sur la mobilisation environnementale se fait également à travers les concepts qu’il a inventés : satyāgraha (résistance par la désobéissance civile) et ahimsā (la non-violence). Pour beaucoup d’activistes pacifiques qui se soucient aujourd’hui de la planète, du climat ou de l’animal, son nom résonne encore, plus de soixante-dix ans après sa mort. (Voir : Joseph Lelyveld, Great Soul). [FM]
Les écrivains, les poètes
Rimbaud (1854-1891). Dans une œuvre séminale, l’un des plus grands poètes français – sinon le plus grand – a publié trois poèmes majeurs et prémonitoires qu’on peut qualifier aujourd’hui de « poèmes verts ». Dans « Soleil et chair », il propose : « Répondre à son appel la Nature vivante » ; et davantage qu’au catholicisme, c’est à la « Divine mère » qu’il croit, cette nature qui est pour lui « la première beauté » – et qu’il ne faut pas « insult[er] ». Dans le poème communard « Bannières de mai », Rimbaud s’adresse à « ô Nature », et affirme : « À toi, Nature, je me rends ». Dans « Aube », poème clé des Illuminations, il rêve à une « aube » inspiratrice. Ce thème majeur de l’ « aube » traverse d’ailleurs son œuvre (« Le Bateau ivre », « Chant de guerre parisien », « Bonne pensée du matin », « Ornières », « Promontoire », « Bottom »). Dans « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs », il aspire à une nouvelle poésie qui, en ce « Siècle d’enfer », saura inventer la couleur d’ « étranges fleurs ». (Voir André Guyaux, éd., Œuvres complètes ; Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud ; René Char, préface, Poésies). [FM]
John Steinbeck (1902-1968). Avec Les Raisins de la colère (1939), son chef d’œuvre, Steinbeck annonce les migrations climatiques. Son portrait durable des « Okies » qui fuient la sécheresse pour finir prisonniers… des inondations est l’un des plus grands romans américains de tous les temps. Le prix Nobel de littérature y préfigure les crises sociales et écologiques qui, ici, se combinent dans la grande migration, sur la Route 66, de l’après Dépression. [FM]
James Graham Ballard (1930-2009). Ses œuvres de science-fiction invitent le lecteur à sillonner les territoires ravagés d’époques post-apocalyptiques dans Le Monde englouti (1962) et dans Sécheresse (1965), ou à explorer un monde où l’homme s’évanouit lentement, pris au piège d’une nature vitrifiée dans La Forêt de cristal (1967). La fiction comme expérience littéraire des formes que prendrait l’extinction de notre espèce. [EM]
Ursula K. Le Guin (1929-2018). Romancière et poétesse, sa littérature de science-fiction et de fantasy déploie les possibles de mondes imaginaires et extraterrestres : des sociétés interspécifiques, anarchistes ou androgynes, des récits de destruction, de naissance ou de survie, des « utopies ambiguës »… Dans Les Dépossédés (1974), interrogeant les rapports entre contrainte écologique et démocratie, elle met en scène deux planètes opposées, mais liberticides chacune à leur manière : Uras, où le règne de l’abondance peut avoir cours au prix d’un rapport prédateur et inégalitaire aux ressources naturelles, et Anarres, dont le communisme libertaire se fait sur la base d’une rareté des ressources. Une auteure majeure de science-fiction (même si elle n’aimait pas cette étiquette !) [EM]
Francis Ponge (1899-1988). Poète du relais entre la parole et le réel, d’un véritable « Parti pris des choses » (1942), son œuvre est peuplée d’animaux, d’objets, d’éléments naturels : la pluie, les mûres, l’huître, le feu, la végétation, le galet, les hirondelles… C’est tout un monde muet qu’il cherche à dire, dont il tente de rendre les surfaces, les textures, les singularités. Il dresse, avec les moyens de la parole, un savoir poétique des choses, transcrit leur univers propre, et leur réclame même des droits (« En revenir toujours à l’objet lui-même », écrit-il dans « Berges de la Loire », « reconnaître le plus grand droit de l’objet, son droit imprescriptible […], il n’a aucun devoir vis-à-vis de moi, c’est moi qui ai tous les devoirs à son égard »). [EM]
Jonathan Safran Foer (1977). Le romancier américain réputé a publié en 2009 un essai qui a fait date : Faut-il manger les animaux ? Dans ce livre efficace, l’écrivain s’engage résolument en faveur de la cause animale et pour le mode alimentaire végétarien. Son propre choix alimentaire personnel est original (il est vegan au petit déjeuner et au déjeuner – sans aucun produit d’origine animale – mais végétarien au dîner – où il consomme des œufs et des produits laitiers mais pas de viande). Dans l’ouvrage, il milite également contre l’élevage industriel et, preuves à l’appui, contre la souffrance animale. L’impact de cet ouvrage a été considérable, notamment parce qu’il est signé par l’une des figures clés de la nouvelle littérature américaine. Plus récemment, Jonathan Safran Foer revient une nouvelle fois sur le rôle de l’élevage intensif dans la crise climatique (L’avenir de la planète commence dans notre assiette). Il se propose également dans un entretien au Monde de « moins utiliser l’avion, vivre sans voiture, avoir moins d’enfants et réduire notre consommation de produits d’origine animale ». [FM]
Premiers philosophes ayant pensé l’écologie au XXème siècle
Hans Jonas (1903-1993). Dans Le Principe de responsabilité (1979), il tente de construire une « éthique pour la civilisation technologique », repensant les catégories morales du bien, du devoir, de l’engagement, à partir d’un « principe de responsabilité » qui lie les générations présentes à celles futures, rendues vulnérables par une science aux pouvoirs désormais illimités. Cette « éthique de l’incertitude » nourrit le concept de « principe de précaution ». Ainsi, il donne une légitimité philosophique à l’exploration hypothétique du futur, au sens où il ancre sa réflexion sur la prévision de l’avenir, et non sur l’analyse du passé, comme la plupart des philosophes marxistes ou libéraux. Le souci des autres au nom du lendemain. (Voir aussi : Eva Sas, Philosophie de l'écologie politique et ce podcast). [EM]
Günther Anders (1902-1992). Philosophe allemand (notamment l’un des penseurs de la bombe nucléaire), sa critique de la technologie s’axe autour de l’hypothèse que l’humanité serait entrée, après 1945 et les bombardements atomiques au Japon, dans une nouvelle ère. Un « temps de la fin » où elle est chaque jour en mesure d’entraîner sa propre disparition par des moyens technologiques qui la dépasse, dans l’attente interminable d’une « apocalypse sans royaume », une destruction sans salut… (Voir notamment : La Menace nucléaire : Considérations radicales sur l'âge atomique). [EM]
Felix Guattari (1930-1992). Si l’on se souvient de Félix Guattari d’abord pour sa collaboration avec Gilles Deleuze, il faut rappeler ses textes tardifs, portant sur la crise écologique, où il développait l’idée d’un paradigme écologique élargi et complexe. Pour lui, on ne peut pas penser l’écologie sans faire une place à la soutenabilité et le soin des milieux sociaux et mentaux : l’écologie se doit donc d’être au moins triple. Voir surtout Les Trois écologies (paru en 1989) et son plaidoyer pour des réflexions et des pratiques « écosophiques ». [JR]
Jürgen Habermas (1929). Le philosophe allemand, héritier de l’École de Francfort, est aujourd’hui déterminant dans la réflexion écologique car il réfléchit à son articulation avec la démocratie. Quand de nombreux penseurs « verts » échafaudent des scénarios inspirés par une pensée libertaire, sans État ni politique, difficiles à mettre en œuvre dans un cadre démocratique, Habermas se propose notamment de refonder la démocratie à l’âge écologique. Autour de ses travaux sur la « démocratie participative » (ou délibérative) et le principe de publicité des débats (éthique de la discussion), ce marxiste sincère qui – comme Claude Lefort et Cornelius Castoriadis avec « Socialisme ou Barbarie » –, fut abasourdi par le totalitarisme soviétique, tente de réconcilier écologie et démocratie. Ce faisant, Habermas combat les risques autoritaires des pensées écologiques et refonde l’ « écologie politique » sur des bases pluralistes en dépit de sa fragmentation idéologique. Loin du courant de l’ « écologie autoritaire », ou même de l’ « écologie profonde », sa pensée contribue à bâtir une « écologie démocratique ». (Voir notamment La technique et la science comme idéologie, Après Marx, Le discours philosophique de la modernité, De l’éthique de la discussion, L’avenir de la nature humaine). [FM]
Ulrich Beck (1944-2015). Le sociologue allemand s’est durablement intéressé aux problèmes écologiques, aux conséquences de la modernisation et à la question du risque. Dans son livre majeur, La Société du risque (1986) il remet en cause notre évaluation (ou notre hiérarchisation) du risque qui peut contribuer à privilégier des solutions immédiates sur des solutions durables. Ce faisant, il réfléchit à une meilleure répartition des risques à l’âge de la globalisation et de la « seconde modernité ». [FM]
Jacques Derrida (1930-2004). Dans L’animal que donc je suis (2002), Jacques Derrida observe l’oubli de l’animal dans la philosophie moderne occidentale « logocentrée » : il est réduit à une pure altérité, un simple mot, un « animot », désignant ce que l’humain n’est pas et ne veut pas être, justifiant par répercussion son exploitation. Pourtant, la frontière serait plus poreuse qu’il n’y paraît, notamment sur la question du langage, reliant possiblement tous les êtres vivants entre eux. [EM]
Arne Næss (1912-2009). La pensée du philosophe norvégien a accompagné la mobilisation écologique émergeante vers une radicalisation du paradigme environnemental, de ses amorces « superficielles » vers ses implications « profondes ». Si l’écologie de surface se préoccupe exclusivement du traitement de tels déchets ou de tel approvisionnement énergétique, la « deep ecology » (ou « écologie profonde ») nous pousse à déplacer le regard humain à une échelle plus vaste, au niveau de l’importance intrinsèque de chaque manifestation du vivant avec laquelle nous sommes toujours déjà en relation. Il faut que le discours analytique autour des milieux (éco-logie) soit incarné par la sagesse pratique de formes de vie respectueuses et soutenables (éco-sophie). À travers la notion de flourishing (« épanouissement »), il insiste sur le changement de regard porté sur la nature : une relation harmonieuse comme source de valeur. (Voir notamment : Une écosophie pour la vie et Écologie, communauté et style de vie). [JR, NMM]
Jacques Ellul (1912-1994). Critique radical de l’idéologie techniciste, qui asservit l’homme et détruit la nature, il a prôné, avec Bernard Charbonneau, une écologie qui déconstruit le mythe du progrès et de la technique, replaçant l’homme dans son environnement naturel. (Voir Nous sommes des révolutionnaires malgré nous). [EM]
Ivan Illich (1926-2002). Prêtre autrichien-américain spécialiste de l’éducation (concept de la « société apprenante), Illich a publié de nombreux ouvrages notamment sur l’énergie, l’eau, l’automobile et a contribuer à imaginer la ville écologique future (sans voiture). Anarchiste, penseur de l’écologie radicale, et critique de la société industrielle (illusoire et aliénante), il a également contribué à la réappropriation chrétienne de l’écologie. Avec le concept de « contre-productivité », il a pointé du doigt les dévoiements d’un productivisme retourné comme un gant par ses propres excès. Contre la vitesse, le développement exponentiel des activités humaines, le culte de la croissance, il dessine une piste : une société « conviviale », c’est-à-dire « une telle société dans laquelle les technologies modernes servent des individus politiquement interdépendants, et non des gestionnaires » (Voir : La Convivialité ; et Thierry Paquot, Introduction à Ivan Illich). [EM]
Philosophes contemporains
Michel Serres (1930-2019). Récemment disparu, Michel Serres a pensé, notamment dans Le Contrat naturel (1990), l’écologie à partir d’une question juridique : la nature peut-elle être sujet de droit, et non plus seulement un objet ? Serres tente alors l’élaboration d’un droit nouveau, un contrat social désormais étendu au monde, aux choses, au vivant, dans une vaste symbiose. Reformulant le « Et pourtant, elle se meut ! » apocryphe de Galilée en « Et pourtant, elle s’émeut », il propose de reconsidérer la planète, non seulement en mouvement, mais aussi vivante, remuante, émotive quant à ce que nous lui faisons. Une deuxième révolution galiléenne. (Ecouter ce podcast). [EM]
Donna Haraway (1944). Formée comme biologiste, Donna Haraway se dirige vers l’histoire de la biologie, rendant compte du rôle que joue cette science dans les sociétés humaines, mais aussi de sa dimension métaphorique (How like a Leaf, 1999). Plus récemment, elle propose dans Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene (2016) de nouvelles cohabitations à l'heure des violentes mutations écologiques. Elle invite à « habiter le trouble », en faisant se rencontrer les figures majeures de son travail : les cyborgs, les « espèces compagnes » et les créatures du « Chthulucène », concept qui entend englober toutes les entités de la biodiversité dans une cohabitation renouvelée autour d’un récit commun multispécifique et enchevêtré. [EM]
Isabelle Stengers (1949). Elle a introduit en philosophie le concept « Gaïa » développé par James Lovelock et Lynn Margulis, notamment dans Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient (2009), où elle pense « l’intrusion Gaïa », soit le surgissement brutal de cet « agencement chatouilleux de forces indifférentes à nos raisons et à nos projets » qui compose le monde dans lequel nous vivons, et auquel elle appelle à faire à nouveau attention. [EM]
Bruno Latour (1947). Le travail socio-anthropologique de Bruno Latour sur les institutions sociales de notre modernité occidentale (l’univers scientifique, par exemple) a annoncé et fondé ses travaux plus récents et éclectiques autour des questions écologiques. À la croisée de la théorie politique et de la spéculation ethnologique, dans ses livres les plus récents comme Face à Gaïa (2015) ou Où atterrir ? (2018), il se propose de reconnaître et d’assumer les liens inexorables qui nous attachent aux réseaux de formes de vie terrestres. L’humain est impliqué dans les environnements qu’il habite : en diplomate, il doit négocier politiquement avec l’ensemble de leurs composantes (y compris non humaines) une co-existence désirable. [JR]
Dominique Bourg (1953). Le philosophe d'origine jurassienne s'est engagé entièrement dans une réflexion relative à la protection de l'environnement face à l'urgence climatique. Il a ainsi publié de nombreux ouvrages et dirigé plusieurs collections relatives aux questions environnementales. Ses travaux portent sur l'éthique du développement durable, où il dénonce en particulier les dérives du marché et de notre croyance aveugle dans le progrès. Il s'est engagé en tête de la liste Urgence écologie aux élections européennes de 2019. Membre de la commission Coppens, à l'origine de la charte française de l'environnement, il a pris la tête de la liste "Urgence écologie" lors des élections européennes de 2019. Il est notamment l'auteur d'un Dictionnaire de la pensée écologique (2015) ou encore de l'ouvrage Du risque à la menace, Penser la catastrophe (2013). [NMM]
Timothy Morton (1968). Philosophe anglais, entré récemment dans le débat intellectuel français avec la publication de quelques ouvrages fondamentaux (Hyper-objets et La pensée écologique en 2018) et avec la une de Philo Magazine, « De la crise écologique qui nous menace », il tente de tirer les conclusions théoriques les plus radicales et cohérentes en jonglant entre la tradition conceptuelle et la culture pop. Il est notamment l’inventeur du concept d’« hyper-objet », décrivant des entités objectives dévoilées par la perspective environnementale qui échappent à la prise temporelle, spatiale et décisionnelle des subjectivités humaines (le nucléaire, les gaz à effets de serre…). [JR]
Vinciane Despret (1959). Philosophe des sciences, elle mène une réflexion sur les façons dont nous nous rapportons aux animaux, sur les dispositifs scientifiques qui nous mettent en contact avec eux, dans le sillage des travaux de Bruno Latour et d’Isabelle Stengers. Montrant comment les bêtes sont considérées de telle sorte qu’elles répondent aux questions que les humains se posent sur eux-mêmes, elle complexifie aussitôt cette proposition en mettant en évidence à quel point les animaux ne sont pas des objets d’observation passifs : ils ont le souci de l’image qu’ils donnent à l’éthologue, à l’humain qui les regarde… (Voir notamment : Penser comme un rat et Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Habiter en oiseau). [EM]
Val Plumwood (1939-2008). Philosophe australienne qui a développé une critique écologique de la raison moderne, en contestant le dualisme raison/nature, à l’origine de la crise environnementale. Elle interroge ainsi les oppositions entre l’humain et la nature, le corps et l’esprit, l’intellect et les affects, dans une perspective éco-féministe, établissant un lien entre le projet de domination de la nature et les rapports de domination entre humains, notamment entre hommes et femmes, ces dernières étant rabattues du côté d’une nature exploitable, émotive, inférieure à la raison. (Voir notamment : Feminism and the Mastery of Nature, et Environmental Culture. The Ecological Crisis of Reason). [EM]
Edgard Morin (1921). L'intellectuel engagé possède une oeuvre à la fois prolifique et "complexe", embrassant un champ très large de thèmes de réflexion. La méthode qu'il déploie dans ses recherches, au moyen de ce qu'il nomme la "reliance" et fondée sur la transdisciplinarité, ne peut alors se soustraire à une réflexion sur la nature et sur l'environnement. En particulier, son analyse des effets de la mondialisation à partir de la triade non gouvernée de la science, de la technique et de l'économie, appelle à une nouvelle position à tenir concernant l'environnement. Dans son oeuvre majeure La méthode, les deux premiers volumes abordent dans leur complexité les systèmes de la Nature et de la Vie, interrogeant les concepts de la physique classique et de la biologie, comme soutenant un rapport à la nature. Son récent soutien au chef Raoni pour la préservation des droits des peuples indigènes et de la protection de l'Amazonie témoigne de son engagement, toujours indissociable de sa pensée. Voir aussi : Terre-Patrie (1993) et l'An I de l'ère écologique (2007), co-écrit avec Nicolas Hulot. [NMM]
Les écologistes
André Gorz (1923-2007). Il est l’un des penseurs qui a le plus contribué au développement de l’écologie politique en France et au-delà. Comme il le disait lui-même, c’est par la critique du modèle de consommation opulent qui caractérise les sociétés contemporaines qu’il est devenu écologiste avant la lettre. Son ouvrage pionnier sur ce thème date de 1975 et s’intitule Écologie et Politique. Mais aujourd’hui, à la différence d’une écologie purement scientifique qui vise à déterminer des limites écologiquement supportables pour le développement de l’industrialisme, Gorz privilégie une « défense de la nature » conçue avant tout comme la « défense du monde vécu », qui préserve l’autonomie des individus et du politique. Le mouvement écologiste s’est d’ailleurs construit initialement sur la défense du milieu de vie en tant que déterminant de la qualité de la vie. On peut retrouver l’ensemble du cheminement de Gorz en lisant son recueil posthume Ecologica paru en 2008. [CF]
René Dumont (1904-2001). Ingénieur agronome, il est le premier candidat écologiste à se présenter à l’élection présidentielle de 1974. Dans son autobiographie intitulée Agronome de la faim (1974), il évoque sa prise de conscience des enjeux écologiques, remettant en cause une conception de l’agronomie tournée vers le rendement et la maîtrise de la nature. Son combat pacifiste et anticolonialiste contre les inégalités dans le monde, couplé à son souci de transformer les méthodes agricoles, le mènent à défendre un « éco-socialisme », appelant à une civilisation « de l’arbre et du jardin », dans laquelle la paysannerie jouerait un rôle fondamental. (Ecouter le podcast). [EM]
Patrick Viveret (1948). De l’autogestion (PSU, Seconde gauche) aux mouvements écologiques français actuels, le parcours de Patrick Viveret résume bien la prise de conscience écologique de sa famille politique, à savoir la gauche démocratique. Précocement, il s’est intéressé à l’écologie (à partir des travaux d’Ivan Illich, Edgar Morin ou André Gorz, ou dans une optique altermondialiste), et a permis le renouvèlement de la pensée de gauche sur cette thématique. Ses thèmes de travail sont nombreux (Rapport « Reconsidérer la Richesse » sous le gouvernement Jospin, fondateur du Mouvement Sol des monnaies citoyennes, textes sur la refonte du PIB, délibération, démocratie et environnement…) : ils font de Patrick Viveret l’un des penseurs majeurs de la mouvance écologiste française. (Voir : Reconsidérer la richesse, Attention Illich, Une alternative de société: l’écosociétalisme ; voir aussi Pour une nouvelle culture politique [avec Pierre Rosanvallon] ainsi que son dernier livre : La Cause humaine, Du bon usage de la fin d’un monde). [FM]
David Abram (1996). Notamment auteur de Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens (2013), Abram a voulu appréhender la question écologique à partir d’une réflexion sur nos sensibilités et leur configuration culturelle. La crise environnementale à laquelle notre civilisation est confrontée prendrait racine dans notre incapacité à prêter attention aux univers terrestres que nous habitons. Ailleurs dans le monde, d’autres communautés humaines (minoritaires, certes) nous montrent les possibilités oubliées d’une écoute et d’un dialogue avec la Terre. [JR]
Aldo Leopold (1887-1948). Écologue, forestier, professeur, il participe activement à la défense du premier espace naturel officialisé aux États-Unis. Il critique le principe de propriété des terres qui est selon lui incompatible avec une coexistence harmonieuse avec la nature. Il est l’auteur de l’Almanach d’un comté des sables, ouvrage à succès qui permît une prise de conscience au grand public de la nécessité de protéger l’environnement. Leopold fait partie du courant dit préservationniste de l’environnement, qui affirme le besoin de préserver non seulement une nature domestiquée, mais encore une part de sauvage. Son éthique de l’environnement repose sur le principe suivant : « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique » (chapitre « Éthique de l’environnement »). Il fonde ainsi une véritable land ethic, une éthique de la terre. [NMM]
Les économistes
Serge Latouche (1940). Économiste, théoricien majeur de la « décroissance », de Faut-il refuser le développement ? (1986) au Temps de la décroissance (2012), il élabore une critique de l’« économicisation » des sociétés, où marchandisation et consommation de masse s’étendent de façon démesurée et aliénante, où croissance et innovation sont devenues les seuls horizons. Il prône contre cela une « décolonisation des imaginaires » de la croissance, afin de changer les mentalités et les habitudes, et forger une société libérée de l’économisme, tournée vers la justice sociale et environnementale. [EM]