Le facteur humain dans la transition écologique #facteurhum…
Le « facteur humain » comme la part d'ombre des êtres humains
D’après Nietzsche, derrière les lumières de la raison se trouve l’irrationnel des êtres humains qui constitue la réalité profonde de la vie et de l’humanité. Cette « ombre » en chacun de nous que Nietzsche appelle le « trop humain » de l’humain.
Nietzsche va plus loin que Descartes dans le sens où il révèle ce qui n’apparaît pas suite à une observation cartésienne. Il ouvre la boîte noire des motivations (pas toujours rationnelles) derrière les comportements. Et ce faisant introduit un doute autour de nos intentions vs.le “Cogito ergo sum”
Nietzsche écrivait dans sa préface à Humain, trop humain : « On a qualifié mes ouvrages d’école du soupçon… ». En cela, le soupçon marque une faille : celle qui s’insinue entre l’homme et lui-même quand il ne se reconnaît plus en quelque sorte dans le monde qu’il a créé. Entre ce qu’il pense et qu’il fait. Ce qu’on ne peut expliquer, ce qu’on ne peut prédire, ce qu’on ne peut que subir et dont les conséquences font peur ! « Humain, encore humain ! » Jérôme Bindé
Le « facteur humain » comme facteur de performance dans les entreprises
Au début du 20ème siècle, le facteur humain est appréhendé comme “la contribution de l’humain à un évènement” et la psychologie se constitue en science en ne considérant que ce que le psychologue peut observer objectivement. Avec Watson (1919) les behavioristes font du comportement l’unique témoin d’une relation stricte entre une situation qui se répète et la réaction qu’elle provoque, à l’instar de la stimulation et de la réponse que Pavlov observait en physiologie. C’est la vague des thérapies cognitives de niveau 1 dites mécanistes (sans ouvrir la boite noire du cerveau) Le comportement : entre perception et action, un concept à réhabiliter Anne-Marie Toniolo
Après la seconde guerre mondiale, deux courants apparaissent en ergonomie pour traiter des interactions humaines au travail :
- le courant « Human Factor », un courant à prédominance anglo-saxonne qui recommande une démarche centrée sur la recherche de résultats et de normes (postures, ambiances de travail…) avec comme objectifs d’améliorer la performance de l’activité humaine
- le courant de l’« Ergonomie de l’activité » se développe en Europe. Il est porté par des médecins du travail et des physiologistes du travail avec des objectifs d’amélioration des conditions du travail humain. C’est une ergonomie centrée sur l’aménagement de poste dans laquelle les fonctions de l’homme au travail sont étudiées séparément, sans prise en compte de la variabilité humaine et industrielle. Activité collective et réélaboration des règles : des enjeux pour la santé au travail Sandrine Caroly
Les recherches en ergonomie du travail menées aux États-Unis par la Human Factors and Ergonomics Society vont remettre l’accent sur le facteur humain au sein du système Homme × Tâche × Machine × Situation. Priorité au facteur humain Alain Lancry
Le facteur humain est fréquemment invoqué dans l’analyse des catastrophes industrielles, des accidents du travail et dans les procès ou les commissions d’enquête. On lui associe l’idée de faute, Christophe Dejours “Le Facteur humain”.
L’attention est portée sur la maîtrise de l’événement dont l’occurence est a éviter, en se concentrant sur pourquoi il est si difficile d’engager des efforts efficaces sur le plan de la prévention des risques pour circonscrire leur occurrence.
Le facteur humain est ainsi appréhendé comme “la défaillance coupable liée à l’inconstance de l’être humain”. Comme posé par Thierry PORTAL dans Crises et facteur humain.
D’ailleurs la naissance de l’ergonomie coïncide avec des accidents du travail provoqués par des erreurs humaines. La sidérurgie et l’aéronautique, avec les systèmes d’automatisation, ont conduit à une ergonomie de la performance qui restait très physique.
Toutes fois, avec l’informatisation du travail, à compter des années 1970-1980, l’ergonomie est devenue cognitive. Et on va ouvrir la boite noire du cerveau.
Le « facteur humain » comme contribution humaine à la croissance économique
Dans les années 50, lorsque les économistes ont cherché à mesurer la contribution humaine au développement économique en posant la notion de capital humain, Robert Solow introduit un troisième facteur de production de richesse après le facteur travail et le facteur capital : le « résidu » ou « facteur résiduel » déterminé par le progrès technique, les connaissances scientifiques, la capacité créative des hommes…autant d’éléments « exogènes » qui améliorent l’efficacité des facteurs de production.
Ce « facteur résiduel » identifié par Robert Solow que l’on peut aussi nommer » «facteur humain» désigne la part de la croissance économique qui n’est pas expliquée par l’accroissement des facteurs de production que sont le facteur capital et le facteur travail. Il est calculé sous forme de “productivité globale des facteurs” (ou PGF) dans la formule de Cobb-Douglas. Mais le facteur humain sera progressivement réduit a un simple facteur technique alors que les connaissances scientifiques, la capacité créative des hommes s’avèrent plus difficiles à mesurer et pas correctement corrélées aux performances des entreprises ou des pays en matière d’innovation. La mesure des gains de productivité va donc se concentrer sur le progrès technologique permettant l’automatisation du travail via de nouvelles machines ou sur une meilleur organisation du travail au sein des unités.

Pour les autres sciences humaines, l’homme peut être objet de recherches et de mesure, mais l’analyse de ces disciplines porte sur l’analyse de son comportement individuel ou social, et non sur sa fonction de producteur de richesses. En 1965, J. Berque élabore un programme de recherches sur le rôle du facteur humain dans le développement dans lequel le rôle du facteur humain est abordé tour à tour sous ses aspects spécifiques : décolonisation, croissance économique, développement, éducation, expression esthétique, repersonnalisation, et d’une façon globale, sous l’angle de la prise de conscience d’une « humanité en tant que tout ». “Le rôle du facteur humain dans le développement des pays nouvellement indépendants” J. Berque
L’éducation est donc un levier du développement économique en faisant progresser le niveau de compétence des travailleurs et en permettant le progrès social. Si le temps moyen que chaque personne consacre à l’éducation augmente d’un an, le produit économique du pays par habitant devrait augmenter sur le long terme, dans une fourchette comprise entre 4 à 6 % ». Données de l’OCDE
Le facteur humain comme potentiel contributif de l’humain
William Schutz, auteur de The Human Element, était convaincu que le potentiel humain inexploité peut être à l’origine d’accomplissements potentiels extraordinaires et que la compréhension par chacun du facteur humain est le socle de la réussite partout où les humains travaillent réfléchissent et font progresser des idées communes.
En travaillant sur la connaissance de soi et des autres pour renforcer la performance des collaborateurs pour la Navy, il a réussit à constituer des équipes productives 75% du temps, soit une augmentation de 50 % par rapport au taux de départ.
La notion de choix est centrale dans le travail de W. SCHUTZ Ce qui nous arrive dépend en premier lieu de nous-même car chaque individu peut choisir d’être conscient de ses comportements, de ses sentiments, de ses pensées, de ses croyances, dont celles qu’il cherche à masquer à tout prix, ou de choisir de ne pas savoir que qu’il a le choix. Les vraies limites du potentiel humain serait celles de nos croyances. SOURCE
Pour Schutz, il existe un principe fondamental : les êtres humains ont besoin des autres pour vivre, ce besoin pouvant même se comparer à celui de manger ou de boire. Ce constat l'a conduit à étudier des besoins relationnels des individus et leurs comportements. Ces besoins se retrouvant sous trois formes : les besoins d'inclusion, les besoins de contrôle et les besoins d'affection. Il démontre comment la connaissance de soi et la confiance sont primordiales pour l'efficacité personnelle, celle d'une équipe et d'une organisation. SOURCE
Le facteur humain comme “mécanismes psychologiques (inconscients) du comportement”
L'enjeu sociétal devant nous, de l'ordre de l'évolution de l'espèce humaine, est donc de favoriser la conscientisation des facteurs de changement de comportement pour aider les humains qui souhaitent contribuer positivement à y parvenir avec un moindre effort cognitif.
D’après Patrick Viveret, il y a une vraie marge de progression pour l’humanité qui est sa propre humanisation. Un champ immense de l’ordre de la conscience s’ouvre devant elle. Une conscience qui n’est pas simplement une conscience mentale, mais aussi une conscience sensible, émotionnelle de soi, des autres, de la nature.
En psychologie, le facteur humain concerne “les mécanismes qui existent entre ce qui est perçu par l’humain et les réactions conscientes ou inconscientes qui en découlent”.
Or 90 % de notre activité est inconsciente et moins de 300 millisecondes sont nécessaires pour prendre une décision. Tel est le constat que tirent Francesca d’Amicis, Petra Höfer et Freddie Röckenhaus ici
De plus, le psychologue Daniel Kahnemann a montré que les humains même quand il agissent en pleine conscience (en prenant une décision aprés réfexion par exemple) n’agissaient souvent pas de façon rationnelle. Ils sont victimes de biais cognitifs qui leur font percevoir la réalitée de façon biaisée. Selon Antonio Damasio, nos actions sont la plupart du temps guidées par nos émotions, par essence irrationnelles. Que dire des croyances irrationnelles qui nous guident dans nos choix. Voire des modèles mentaux dans lesquels on s'enferme (lire cette note)
Enfin, l’humain adopte souvent une logique disruptive et des astuces (la Mètis chère à Ulysse et à Aristote). La valeur spécifique des humains ne se trouve pas dans le respect d’un protocole mais justement dans sa capacité à sortir des sentiers battus que ce soit en brisant les règles et la logique (disruption) ou au contraire en cherchant des raccourcis (Dejours, 2018)
Aidons les humains à sortir des sentiers battus et à emprunter les chemins qu'ils choisissent de suivre, de préférence ceux qui mènent vers plus d'empathie et de respect du vivant.
Faire la pédagogie des “mécanismes psychologiques du comportement” #facteurhumain
S’il y a bien un domaine où la connaissance est plus particulièrement nécessaire, c’est bien celui de notre propre fonctionnement selon Jacques Fradin du GIECO L’apprentissage collectif, un levier à explorer.
Pour que l’Humain exprime son potentiel, il doit apprendre à se faire confiance, à croire en ses capacités plutôt qu’à se laisser guider par ses automatismes, il doit ainsi apprendre à reconquérir son attention, à clarifier ses intentions et à se reconcentrer sur ce qui compte pour lui et sur ce qui fait sa force : son environnement. En d’autres termes, l’Humain doit devenir un facteur positif pour lui-même et pour ce qui l’entoure. Alexandre Beaussier de Humans Matter.
Pour Jérémy Dumont de Nous sommes vivants, mobiliser les parties prenantes de l’entreprise sur les enjeux du développement durable passe par un changement de relation à soi, aux autres et au vivant. Chez Socrate, la philosophie ne désignait pas l’acquisition d’un savoir, mais une manière de s’interroger, de se mettre en question, une forme de souci de soi dans sa relation aux autres. Revenons au “connais toi toi même” de Socrate.
Humans Matter, le GIECO et Nous Sommes Vivants ont ainsi crée la fresque du facteur humain à la suite de l’université du facteur humain de 2021 (ici).
Présentation de la fresque du facteur humain